1739-05-11, de Nicolas Claude Thieriot à Frederick II, king of Prussia.

Monseigneur,

Depuis que j'ai eu l'honneur de vous faire mes humbles remontrances par ma dernière lettre à vot. alt. royle messieurs de Maupertuis et d'Argental, les plus déclarés et les plus fidèles amis de mad.
Du Châtelet et de Voltaire me sont venus donner avis du désaveu en forme du Préservatif par m. de Voltaire. Il s'est enfin déterminé à l'envoyer à m. le lieutenant de police pour avoir celui que l'abbé Desfontaines a déposé entre les mains de ce magistrat commis par la cour pour la connaissance de cette affaire. Ce nouvel incident m'engagea de renouveler à ces deux messieurs mes dispositions pour rendre service à monsieur de Voltaire, et me fit leur demander si j'aurais à écrire quelque témoignage en sa faveur. Ils me répondirent que, la lettre de la marquise du 31 décembre étant publique, et ne pouvant ni accuser l'abbé Desfontaines, ni écrire plus fortement et plus sagement que j'avais fait contre la Voltairomanie, ils se mettraient toujours entre m. de Voltaire et moi sur ce point, et que je ne devais pas m'y prêter. En effet, monseigneur, ces messieurs n'ont jamais pu éclaircir avec m. de Voltaire ce qu'il exigeait de moi, et nous sommes tous les trois encore à obtenir le modèle d'écrit qu'il a toujours voulu que je fisse contre l'abbé Desfontaines. Ce que je me garderai bien de faire, ne pouvant rien avancer contre lui que je pusse prouver et soutenir en justice, où toute cette vilaine affaire peut être amenée. Il s'agit ici, monseigneur, de mon honneur et de ma sûreté, et ma lettre à mad. Du Châtelet a été dictée par une amitié aussi vraie que prudente, et c'est par là qu'elle m'a fait honneur dans le monde. La suite du temps vous convaincra, monseigneur, de ma sincérité, et le Mémoire qu'avait fait m. de Voltaire au commencement de ces démêlés et dont il court des copies, quoiqu'il l'ait supprimé avec raison, n'est pas plus approuvé de ses amis que des indifférents. La manière dont j'y suis traité, et que j'ai bien voulu ne pas contredire, a fait un si mauvais effet qu'une personne de la cour dit qu'on pouvait appliquer aux accès de Voltaire ce qu'on disait des enfants d'Hérode; au reste, monseigneur, je ne vous aurais jamais après des traits aussi affligeants pour ses amis que pour lui même, si je n'avais pas à me justifier auprès de v. a. r. des remontrances respectueuses qu'elle me permet de lui faire. Je ne vous écris rien que de vrai, et la lettre que je viens de recevoir vérifie ce que je vous ai dit de toutes les autres, qui aussi bien mes réponses et toute notre correspondance suivie depuis vingt ans, ne serviraient qu'à faire voir que je ne mets point sur le compte du cœur de mon ami les ègarements de son esprit, quelques chagrins qu'ils m'aient coûté. Je l'aime avec ses défauts comme il m'aime avec les miens, et j'ose dire que je l'aime peut-être encore plus par goût que par reconnaissance; et ce qui étonnera peut-être v. a. r., c'est que sa société m'a toujours paru préférable à ses ouvrages ou à son talent. Pardon, monseigneur, si je vous ennuie en laissant couler ma plume avec tant de franchise, inséparable pour l'ordinaire du bavardage.

Je n'ai pu recueillir, monseigneur, que la lettre par laquelle le p. Bougeant vient de faire amende honorable de son ouvrage sur les Bêtes et un madrigal de la muse encore élégante et galante de m. le marquis de St Aulaire dans sa quatre-vingt-dix-septième à madame Dupin, une des plus jolies femmes de Paris pour l'esprit et la figure.

Je me garderai bien de m'y laisser surprendre à des yeux si touchants, à tant d'attraits si doux.

Vous oserais je offrir la cendre d'un cœur dont tous les feux étaient trop peu pour vous?

Je suis avec un très profond respect et un extrême attachement

Monseigneur

de v. a. r.

Le très humble et très obéissant serviteur

Thieriot