A Valleraugue, 18 décembre 1757
…Je suis très étonné du procédé de l'abbé Trublet, et ce dernier trait achève de le peindre.
Ne croyez pas que je l'eusse prié de m'envoyer cette copie: je ne la lui demandai du tout point, je lui marquais seulement que je l'avais vue. Il n'est peut-être pas mauvais qu'elle soit imprimée, mais était ce à d'Argental qu'il devait en demander la permission? Il y a là complication de sottises, et l'abbé se brouille tout à la fois avec nous et avec Voltaire.
Je ne vous parle plus de mon ouvrage; c'est que vous m'en avez presque détourné. Je ne croyais point qu'une nouvelle édition d'un livre imprimé à Paris avec permission, augmentée de diverses pièces, telles que le panégyrique du roi, des vers au roi de Pologne, le portrait de madame de la Vallière, des madrigaux à madame de Boufflers, que Voltaire a retranchés de son édition de Genève, je ne croyais pas, dis je, qu'une pareille édition farcie de notes au bas de pages, et d'examens impartiaux à la tête des tragédies et des autres morceaux qui ne sont pas susceptibles de notes, pût devenir un crime d'état, surtout pour moi qui, 1., avais à repousser les invectives dont il a semé son dernier Siècle de Louis XIV, et 2. à me venger du double tort qu'il m'a fait en donnant par souscription une édition de madame de Maintenon, enrichie d'un commentaire perpétuel et perpétuellement injurieux: mais vous m'avez refroidi sur ce projet en m'alarmant sur sa liberté, et en me rappelant les abominables édits des rois. Cependant tous ces mois-ci j'ai pâli sur les œuvres de notre ennemi, et j'ai même écrit beaucoup de choses parmi lesquelles il y en a qui me font regretter que tout ne paraisse pas. Je me proposais d'y ajouter l'histoire de vos démêlés avec Kœnig et avec lui, que je fis à la Bastille, d'après cet in-4. qui ne se peut lire et que ce lieutenant de police que vous savez qualifier, ne voulait point qu'on me fît parvenir. Je n'ai nul besoin des libelles, des purement libelles qu'on a écrits contre lui. Je n'en pourrais faire usage: mais j'aurais besoin de diverses critiques très bonnes qui ont été faites de ses pièces de théâtre à mesure qu'elles ont paru. J'en prendrais ce que j'en trouverais de sensé, ou du moins je saurais qu'il n'y a rien à en prendre. Je voulais faire précéder cette édition d'une vie de l'auteur et l'y traiter comme un homme mort: et en effet il n'était plus, après le coup de grâce que j'allais lui donner. Vous avez dérangé toutes ces idées. J'aurais fait imprimer en hiver à Avignon. Je puis bien faire imprimer à Londres; mais j'aime uniquement ma patrie toute cruelle qu'elle m'est, et deux mille louis que je gagnerais à mon entreprise ne me dédommageraient point de la perte que je croirais avoir faite. Fournissez moi donc des expédients: vous le devez, puisque vous m'avez fourni des difficultés….