1758-06-12, de Laurent Angliviel de La Beaumelle à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Je fais bien des vœux pour votre rétablissement, et je me flatte que vous ne doutez pas qu'ils ne soient fort vifs et fort sincères.
Je vous remercie de votre chanson Lapone, que mlles de Montolieu, qui la chantent ce soir, attendaient avec beaucoup d'impatience.

Enfin, on réimprime ma réponse à Voltaire, et je recevrai aujourd'hui la première épreuve. J'ai donné à cet ouvrage une forme un peu différente. Au lieu d'une lettre où tout était décousu, j'en ai fait une vingtaine dans chacune desquelles j'ai rapproché et ajouté ce qui concernait la même matière. J'ai supprimé quelques pages où je paraissais trop bon. J'en ai ajouté grand nombre d'autres et beaucoup de plaisanteries ou du moins ce que j'ai cru l'être. Pour engager le libraire à s'en charger, je lui promis un volume de 300 pages: et pour faire ces 300 pages, je me propose de lui donner l'extrait de votre in-quarto de Merian sur vos démêlés avec Kœnig, un examen en forme de lettres à Voltaire, de quelques chapitres de son histoire universelle, de sa liste des maréchaux de France, la lettre de Voltaire à vous sur votre voyage. Si vous le jugez à propos et s'il en est besoin une dissertation sur l'origine du combat judiciaire. Le tout sous ce titre: Lettres de M. de la Beaumelle à M. de Voltaire, nouvelle édition, augmentée de diverses pièces intéressantes. Je ne demanderai point la permission d'aller à Avignon. Hier je fis avec un libraire de cette ville le projet du traité suivant: Nous ferons de concert à nos frais, une édition de Voltaire avec des augmentations et des remarques en vingt-quatre volumes. Cette édition au nombre de six mille exemplaires, coûtera trente-six mille livres. Je fournirai pour ma portion cinq volumes d'augmentation, soit en pièces de Voltaire, soit en remarques critiques, et douze mille francs d'argent. Moyennant quoi, trois mille exemplaires de l'édition m'appartiendront. Je ne payerai mon tiers qu'à mesure que les feuilles séchées et comptées seront déposées en un lieu convenu entre les deux associés. L'édition finie, chacun des deux en prendra cent exemplaires pour en disposer comme il jugera à propos, dont nous serons obligés de nous tenir compte respectivement, et de solder toutes les fois que nous voudrons en reprendre cent autres. Je suis fort aise de ce marché sur lequel j'aurai réponse décisive du libraire dans la quinzaine. Il lui sera fort difficile de me tromper, 1. parce que je l'assujettis à un caractère neuf qu'il n'a pas, et dont l'acquisition lui coûtera cher; 2. parce qu'exigeant de lui environ vingt mille francs de déboursés, j'épuise les fonds et le mets hors d'état de me tromper, en tirant des exemplaires pour son compte particulier; 3. parce que le volume ne me reviendra qu'à trois livres 4 deniers.

J'ai retouché avec tant de soin ma réponse à Voltaire, que je viens de conseiller au libraire d'en imprimer deux mille exemplaires au lieu de quinze cents que je lui avais conseillé d'abord. Il me semble que la lettre qu'il vous écrivit à votre retour sera très bien placée dans ce petit recueil, c'est une réfutation complète de ses libelles.

Je viens de relire le placet des protestants: vous avez raison, il est pitoyable, c'est-à-dire touchant, pathétique. Je ne suis point frondeur par état. Je fais trop l'amour pour penser à ce qui le fait à Versailles. M. de Séguier sera fort sensible à votre souvenir. On ne peut vous honorer plus qu'il le fait. Les Nimois à qui j'ai dit que vous viendriez, ne pouvant vivre à Nîmes, n'y avait pas été, sont tous enorgueillis de vos bontés pour leur ville.

Madame du Boccage nous attendait à Avignon, à ce qu'on m'a dit. Je lui écrivis hier par mon libraire, pour savoir si elle y fera quelque séjour. Pourquoi ne voulez vous pas que je vous écrive par Petit et Dumoutier, de Hambourg?

14 juin

L'arrivée de monsieur et de madame du Boccage m'empêcha de finir ma lettre avant-hier. Ils partent aujourd'hui ou demain. M. du Boccage a la goutte, madame du Boccage n'a point voyagé inutilement, elle parle mieux, et mieux de toutes choses. Elle a trouvé votre chanson Lapone fort jolie, elle ne la connaissait point. M. le duc d'Uzès me dit il y a quelques jours une chose que je ne crois pas et qu'il tient du duc de Villars qui alla à Genève pour se faire guérir par Tronchin, et en partie aussi pour voir Voltaire. Voltaire lui montra des lettres cordiales du roi de Prusse et un blanc signé. De sorte qu'il prétend tenir rigueur à ce prince qui le rappelle, dit il, à cor et à cris. Je répondis à m. le duc d'Uzès qui, par parenthèse, a été fort fâché de ne pas vous voir ici, que c'était de vieilles lettres que Voltaire montrait comme nouvellement reçues, et je lui contai le démenti du roi de Prusse sur les lettres qu'il montrait à Leipsick après son expulsion. Adieu, monsieur, m. le maréchal de Thomond arrive dans deux heures d'ici. Je vous embrasse de tout mon cœur. M. de Séguier me paraît bien enchanté de votre présent.

La Beaumelle