1776-06-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Laujon.

Un veillard de quatre-vingt-trois ans, monsieur, reçut ces jours passés, presque en même temps, un amusement charmant dont il est fort indigne, et des reproches de m. le comte de La Touraille, d'avoir tardé trop longtemps à vous remercier.
Je suis obligé de vous dire que le ballot dans lequel ce joli présent était enfermé n'arriva dans ma retraite qu'avant-hier. C'est un malheur qui arrive souvent aux pauvres gens qui vivent loin de la capitale. Mon malheur est d'autant plus grand, que je suis éloigné de vous pour jamais; et c'est ce qui redouble les obligations que je vous ai d'avoir bien voulu songer à moi, au milieu des plaisirs et de tous les agréments dont vous jouissez. Quoique je sois plus près des De profundis que de l' allegro, je sens cependant tout le prix de la grâce que vous me faites. Je suis aussi sensible à de jolies chansons que si je pouvais les chanter. Dans quelque genre que vous exerciez, monsieur, vos talents aimables, vous êtes toujours sûr de plaire. Je suis très fâché du retardement qui m'a privé si longtemps de vos bontés, et qui m'a empêché de vous en remercier.

J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments, toute l'estime et la reconnaissance que je vous dois, monsieur, votre, etc.

Le vieux malade de Ferney