1763-07-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges sauront que je ne sais rien de la gazette littéraire à laquelle ils s'intéressent; il est toujours fort singulier qu'après les peines que je me suis données, les auteurs ne m'aient rien fait dire, et ne m'aient pas envoyé une de leurs gazettes: ne trouvez vous pas cela fort encourageant?
Mes anges servire e non gradire e una cossa per far morire.

Le président Hainaut m'a envoyé une préface anglaise en son honneur, qui est à la tête de la traduction de sa chronologie; il ne me parle que de cela, et date de Versailles, et moi je ne lui parle point de la traduction anglaise de l'histoire générale, je ne parle de cette histoire qu'à vous; nous avons imaginé avec Crammer une tournure, pour que le parlement ne soit point fâché, et nous vous enverrons incessamment le petit avertissement. Je suis bien aise de ne point parler en mon nom, il y a toujours quelque ridicule à parler de soi.

Mr de Thibouville crie toujours après un cinquième acte, vraiment j'ai bien autre chose à faire, il faut attendre que l'inspiration vienne; malheur à qui fait des vers quand il le veut, quiconque n'en fait pas malgré soi, en fait de mauvais.

Mes anges, je veux que vous vous amusiez de ma lettre à mr Hellot, elle est historique, et quand vous l'aurez lue, je vous supplie de la lui faire remettre. Toutes ces lettres me font perdre du temps, et vous savez que le temps perdu ne se retrouve jamais.

Permettez encore ce petit billet pour le Kain. Il vous apprendra que je suis le plus grand acteur qu'il y ait en Suisse. J'ai joué à l'âge de près de soixante et dix ans, Gengis Kan avec un applaudissement universel. Nous avions parmi les spectateurs une espèce de Kalmouc, qui disait que je ressemblais à Gengis Kan comme deux gouttes d'eau, et que j'avais le geste tout à fait tartare, mais mad. Denis jouait encore mieux que moi, s'il est possible.

Je n'ai pas encore le moment de remercier la muse limonadière.

Respect et tendresse.

V.