1778-03-25, de — Beaupré à — Beaupré.

Tu me demandais, dans ta dernière lettre, des détails sur le voyage de m. de Voltaire.
Je suis peu à portée de te satisfaire; mais tu en apprendras beaucoup par les papiers publics, qui disent et redisent très en détail les faits et gestes du patron. Le succès de sa tragédie est très médiocre, surtout depuis la première représentation, où un fait particulier et très extraordinaire a excité des applaudissements inouis. La pièce en a un peu profité, quoiqu'elle n'y entrât pour rien. Tu sauras sûrement ce dont je veux parler ou à peu près. En voici un précis. Deux de nos princes ont eu une petite querelle qu'ils ont vidée comme il est d'usage en pareil cas. Ils ont paru à la tragédie d' Irène et le public s'est montré grand approbateur de leur bravoure, et les a applaudis à tout rompre. Il y a eu ensuite dans la pièce quelques tirades qui prêtaient à la circonstance et qui ont aussi été bien senties, et pour lesquelles les applaudissements ont redoublé. Le roi cependant a envoyé les deux réfractaires à sa volonté à Chantilly et à Choisy, le tout pour la frime. Quant au patron, il est à craindre que son voyage ne soit la dernière de toutes ses folies, et celle qui lui réussira le moins. Sa santé est fort altérée, et le séjour de Paris ne contribuera pas à la rétablir. La gêne perpétuelle qu'il y éprouve lui est d'autant plus pénible, qu'il a toujours plus qu'usé de sa liberté. D'ailleurs, les tracasseries des prêtres, de ses amis, de ses ennemis, qui se sont tous conduits aussi ridiculement, tout cela allume son sang et finira par le détruire tout à fait. Il aurait bien mieux fait de rester à Ferney et de ne pas voir de loin Paris si en beau.