18 novembre 1776
Je réponds, mon cher Pierre Jean, à la réponse que vous me deviez, comme si je l'avais reçue.
Je suis très mécontent de votre lettre d'hier à notre ami; il y règne une morosité dont il faut que je vous gronde. Il vous dira comme moi que quand on voit de loin, on ne voit pas toujours juste. Vous avez des inquiétudes paniques. Les choses ne sont point telles que vous les croyez. Je lui laisse à entrer là dessus dans un plus grand détail, il me l'a promis. Quant à vos excuses sur mes œufs de pâques que vous paraissez vouloir me refuser, je ne les reçois point. Loin d'avoir trop présumé de vos forces, vous y donnez aujourd'hui trop peu de confiance. C'est au contraire un objet d'amusement, et de distraction qui vous est nécessaire. Vous vous feriez au physique et au moral autant de tort qu'à nous, si vous perdiez de vue un travail charmant déjà très avancé, et qui (pour parler le langage de l'opéra) est fait pour redoubler notre gloire et nos plaisirs. Je ne vous en quitte point; je vous exhorte, je vous presse et vous presserai sans cesse de continuer. Si vous pouvez être excité par la justice rendue à Sémiramis par une jeune cour très difficile à fixer sur les tragédies, je vous confirmerai, car vous le savez sûrement, le succès prodigieux de Sémiramis à Fontainebleau, où la plupart de ces spectateurs là, ne l'avaient peut-être jamais vue. Le roi la connaissait, et voilà les propres mots de son billet à m. de Maurepas, le jour qu'on la jouait; je l'ai lu. M. de Maurepas me l'a montré pour me faire plaisir: Je n'irai que demain travailler avec vous; je suis fâché de manquer aujourd'hui au rendez vous, mais j'ai tant vu ici de mauvaises pièces, que je ne puis me refuser d'aller voir Sémiramis. Les applaudissements furent extrêmes, et le roi et la reine les commençaient toujours. Il est vrai que vous fûtes bien secondé par melle Sainval (l'aînée) qui y est fort au dessus de melle Dumesnil dans son meilleur temps, et surtout bien plus noble. J'en reviens donc à mes moutons; ne nous abandonnez pas, nous sommes à vos genoux: vous nous avez trop flattés pour nous laisser là. Soyez moins alarmé sur les objets qui vous font une fâcheuse illusion, et surtout ne perdez pas de vue votre dédommagement et le nôtre. Bonjour, mon cher ami, voilà mon coup de pistolet lâché; mais j'ai ma provision de poudre, et je ne cesserai de tirer jusqu'à ce que vous m'ayez promis solennellement, s'il vous plait, de continuer. Pour moi, il me plaît de vous aimer et de vous le dire, comme si vous ne le saviez pas depuis sept à huit lustres.