1777-01-24, de Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville à Voltaire [François Marie Arouet].

Je commençais à être un peu piqué que le fameux Hervé, après mes deux dernières lettres me laissât là, et ne m'envoyât point ma perruque, surtout dans un temps de carnaval, où l'on est bien aise d'être mis un peu proprement, et rien ne pare mieux que d'être bien coiffé.
Je lui dirai donc que je lui pardonne d'avoir voulu rendre l'ouvrage parfait avant de le livrer; mais je le connais, il a moins besoin que tout autre de repasser une barbe quand il l'a faite. D'ailleurs quoiqu'il y ait déjà quelque temps qu'il soit maître, je sais qu'il est encore plus expéditif que tous ses garçons; ainsi je demande ma perruque. L'ange l'attend avec autant d'impatience que moi. Nous sommes sûrs que bien d'autres que nous en serons coiffés. Si vous aviez vu jouer melle Sainval, hier Zuma, pièce nouvelle de m. Lefebvre, roman absurde, où il y a pourtant par ci par là quelques beaux détails, si vous aviez vu le parti qu'elle tira de ce mauvais rôle, vous seriez impatient de lui voir jouer votre impératrice. C'est vraiment un talent bien singulier.

Allons, prenez haleine, comme Rodrigue, en vous dépêchant de mettre la dernière main à notre drôlerie, et de nous l'envoyer. Vous vous reposerez après, et je crois (comme Achille) pouvoir vous le prédire; ce sera sur de nouveaux lauriers. Bonjour, mon cher Pierre Jean, j'attends mes étrennes; il est encore temps. Tout le mois de janvier en est; le paquet ne parut il que le 31 vous serez encore dans la règle: et puis nous sommes de bons princes, nous ne vous chicanerons pas strictement; annoncez nous l'envoi seulement un peu prochain, je vous baiserai encore des deux côtés; et ce sera, comme je vous aime, de toute mon âme.