7bre 1734
Echapé des Bruits du Palais,
Et sous deux bons verroux en paix
Dans ma chambre enfin je respire;
J'invoque vostre nom trois fois,
Et ma Muse absente six mois
Revient doucement me sourire.
Mais quand je songe à m'aranger
Pour lire vos vers et m'instruire,
Quand par le prochain Messager
Je veux moymesme aller vous dire
Que je vous aime et vous admire,
Vous partés donc pour voyager?
Vous, né dans le sein des Délices,
Vous grimpés les monts de Glaris,
Et quittés les Arts à Paris
Pour aller fumer chés les Suisses?
Quel charme ont pour vous les Etats
De Vestfrise et de Hollande,
Et ce tumulte et ce ramas
De Balots de tous les climats
Et d'habitans de contrebande?
Sur la Bourse on vous parlera
De Pacotille et Prorata,
D'Actions et de Dividende,
Et jamais de cet Opéra
De Sanson et de Dalila
Que Le Parterre vous demande.
Vous cherchés de là ces Païs
Où Rome en sa superbe enceinte
Commandoit au Monde conquis,
Mais Rome n'est plus que la sainte;
Au lieu de fières Légions
On n'y voit que processions,
Et du terrible Capitole
Qui tonnoit sur les Nations
Ne part que le foudre frivole
Des Brefs, des Constitutions.
Craignés y la griffe du sbire,
Il n'est en Enfer Diable pire,
Il fait sa ronde en ce saint lieu,
Signés vous qu'il ne vous atrape
Et baisés l'Etole et la chape
Sans rire tout haut de ce jeu,
On peut là médire de Dieu
Mais non pas ne point croire au Pape.
A Venise au haut de sa Tour
Saint Marc en charlatan vous crie,
Venés, ma ville est la Patrie
Du Carnaval et de l'Amour.
A l'oposite vous apelle
De Venus cet Enfant rebelle,
Ce fils déserteur de sa cour . . . .
Qui règne à Florence la Belle?
Jadis aux jésuites j'ay vu
A vostre oeil noir et bien fendu
Qu'en ces deux camps dans vostre Enfance
Vous eussiés été bien reçu;
Mais à vostre âge en conscience
Quand de ses sillons La Prudence
Charbonna vostre teint barbu,
Iriés vous braver la vangeance
Et la vérole au néz camu
Qui sous un satin vermoulu
En ce sénat plein d'importance
A Venise tenant séance
Font trembler d'y faire un Cocu?
Et que feriés vous à Florence
N'ayant plus visage ny cu?
Va plutost, Voltaire, à Mantoüe;
Sans qu'Apollon t'en désavoüe,
Rimeur charmant vois le berceau
De Virgile que tu remplaces,
Cüeille ses Lauriers sur ses traces
Aux bords fameux du Mincio,
Sur ta Trompette et sur ta Lyre
L’âme de Virgile respire
En tes vers pompeux, et l'Echo
Cet Echo si doux et si tendre,
Va croire enchanté de t'entendre
Que par un prodige nouveau
Virgile est sorti de sa cendre.
Mais finissons ces longs récits;
Cher amy, sur quelque rivage
Que vous conduise ce voyage
Vous verrés peu de vrais amis,
Rarement une femme sage,
De bons Rois en aucune plage,
Sans orgueil peu de beaux Esprits,
Peu de Rimeurs sans verbiage,
Point de ville comme Paris,
Ny personne en tous les paÿs
Qui vous chérisse davantage.