1735-03-02, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].
Venés aimables exilés,
Enfans charmans du plus aimable père,
Vers ingénus de l'aimable Voltaire,
Retirés vous en nos bois reculés
Jusques au temps que dans le cèdre,
Ainsy que vos aisnés au temple des Elus,
Entre l'Enéide et la Phedre,
Toujours aimés et toujours Lus,
De La Postérité vous ayés Les tributs.
Contentés vous de ma retraite,
Venés, en arrivant icy
Je vous mène à quelque toilette,
Venés cadets au teint fleuri
A l'oeil fripon et radouci,
Parfumés à la violette
Vous y conterés la fleurette.
A vos airs de cour dieu merci
Vous aurés bientost réussi,
De vostre Langage poli
Lise prenant trop de souci
En met de travers son aigrette
Et dans une armoire secrète
Philis vous cache à son mary.
Ce n'est point aux avides Plages
Que La Garonne active échaufe de ses eaux
Que devoient tendre vos voyages,
L'agile Tambourin y fait sous les ormeaux
Sauter Les nymphes des villages,
Mais cette folle joye épuise les cerveaux,
Et ce n'est que sur les rivages
Où la Seine nous voit marcher à pas égaux
Que tendres, recueillis au fond de nos bocages,
Nous pensons sur nos chalumeaux.
Sous nos neiges s'opère une double merveille:
L'amour en est plus chaud au milieu des hyvers
Et parmy nos frimats germa Le grand Corneille.
De fatigue abatu quand L'univers sommeille,
Renfermée en son sein la nature qui veille
Produit en nos climats et l'amour et les vers.
Je vois autour de nous des rejettons timides
Elever leur boutons naissans.
Que vos habiles mains Voltaire en soient les guides
Et viennent haster Leurs printemps
Ou si par un malheur extrême
Vous craignés le froid de nos vents
Envoyés nous vos chers enfans,
Confiés donc cette part de vous mesme
Au pays où je vis, ou l'on rime et vous aime.