1731-05-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Nicolas Formont.
Rimeur charmant plein de Raison,
Philosophe entouré de grâces,
Epicure avec Apollon
S'empresse à marcher sur vos traces.
Je Renonce au fatras obscur
De ce Rêveur de L'oratoire,
Qui croit parler de L'esprit pur
Ou qui veut nous Le faire accroire,
Nous disant qu'on peut à coup sûr
Entretenir dieu dans sa gloire.
Ma Raison n'a pas plus de foy
Pour René Le visionaire,
Songeur de La nouvelle Loy
Qui plus éblouit qu'il n'éclaire.
Cet homme entouré d'étincelles,
Enfants de son cerveau gâté,
Avec méthode a Débité
Un tas Brillant d'erreurs nouvelles
Pour mettre à la place de celles
De la Bavarde antiquité.
Dans sa cervelle trop féconde,
Il prend d'un air fort important
Des Dés pour arranger le monde.
Bridoye en auroit fait autant.
O qu'entre Cideville et vous
J'aurois voulu passer ma vie!
C'est dans un commerce si doux
Qu'est La Bonne philosophie
Que n'ont point ces mistiques fous,
Ni tous ces pieux Loupgarous,
Gens députés de L'autre vie,
Nicole et Quesnel, enfin tous,
Tous ces conteurs de Rapsodies
Dont le nom me met en courroux
Autant que leur oeuvre m'ennuye.

Venés donc aimables amis philosopher avec moy, et ne vous avisés point de chercher Les Beaux jours à une Lieue de Rouen. Vous n'avez point de mois de mai en Normandie.

Vos climats ont produit d'assez rares merveilles,
C'est le pays des grands talents,
Des Fontenelle, des Corneille;
Mais ce n'est point Le Pays du printemps.

Si Rouën avoit d'aussi Beaux jours que de Bons esprits, je vous avoue que je voudrois m'y fixer pour le Reste de ma vie. Je vous dirois avec Virgile

Soli cantare periti
Arcades. O mihi tum quam molliter ossa quiescam,
atque utinam ex vobis vestrique fuissem
aut custos gregis aut maturae vinitor uvae.
Serta mihi Philis legeret, cantaret Amintas.

Mais votre climat n'a point maturam uvam. Ma malheureuse machine m'obligera de m'éloigner du pays où L'on pense pour aller chercher ceux où L'on transpire. Mais dans quelque pays du monde que j'habite vous aurés toujours en moi un homme plein de tendresse et d'estime pour vous. C'est avec ces sentiments, mes chers messieurs, que je serai toute ma vie votre, &c.