à Paris ce 2 sept. [octob.] 1731
La mort de monsieur de Maisons, mon cher amy, occupoit touttes mes idées, quand je fis réponse à la lettre que j'ay reçue de vous.
J'avois à vous parler d'un de vos amusements qui m'est bien cher et au quel je m'intéresse plus qu’à mes occupations, c'est ce joly opera que vous avez ébauché de main de maitre, et que vous finirez de même quand il vous plaira. J'en avois parlé chez madame la princesse de Guise à Arcueil, quelque temps avant la perte que j'ay faitte. Je voulois tous les jours vous rendre compte de ce qui s’étoit passé à Arcueil, mais la douleur extrême où j’étois, et ces premiers moments de désespoir qui saisissent le cœur quand on voit mourir dans ses bras quel-qu'un qu'on aime tendrement, ne m'ont pas permis de vous écrire. Enfin ma tendre amitié pour vous qui egale la perte que j'ai faitte, et que je regarde comme ma plus douce consolation, remet mon esprit dans une assiette assez tranquile pour vous parler de ce petit ouvrage pour qui j'ay tant de sensibilité. Je dis sans vous nommer qu'un de mes amis s’étoit amusé à faire un opera plein de galanterie, de tendresse, et d'esprit sur les trois sujets que j'expliquay, et dont je me hasarday de dire le plan. Tout fut extrêmement goûté, et il n'y eut personne qui ne témoignast son chagrin de voir que nous n'ayons point de musicien capable de servir un poète si aimable. Mgr le comte de Clermont qui étoit de la compagnie et à la tête de ceux qui avoient grande impatience d'entendre l'ouvrage, envoia chercher sur le champ à Paris un musicien qui est à ses gages, et exigea de moy que j'engageasse mon amy à se servir de cet homme. C'est un nommé Blavet, excellent pour la flûte, et peutêtre fort médiocre pour un opera. Mais heureusement Monsieur le comte de Clermont qui quoy que prince entend raison, nous promit que si on n’étoit pas content de la première scène de notre homme il seroit cassé aux gages, et que la pièce seroit remise entre les mains d'un autre. Voylà ce que je vous mande sans que mon esprit républicain soit le moins du monde amolly par un prince ny asservi à la moindre complaisance, en fait de baux arts. Je ne conois personne, ainsi je ne vous demande rien pour le sieur Blavet, mais je vous demande baucoup pour moy, c'est que je puisse enfin voir le triomphe de la bauté et le vôtre. Je ne pouray peutêtre pas arriver à Rouen aussitost que je l'espérois. Je ne prévois pas que je puisse me remettre en prison avant le mois de décembre. En attendant, vous devriez bien m'envoyer ce triomphe que je porterois à Richelieu où je vais passer quinze jours. Le maitre de la maison a passé toutte sa vie dans ces triomphes que vous chantez. Il sera là dans son élément, et il est un assez bon juge de camp dans ces tournois là.
A l’égard de mon Eriphile je l'ay bien refondue. J'ay rendu l’édifice encor plus hardi qu'il n’étoit. Androgide ne prononce plus le nom d'amour. Eriphile épouvantée par les menaces des dieux et croyant que son fils est encor vivant, veut luy rendre la couronne, dût elle expirer de la main de son fils selon la prédiction des oracles. Elle aprend au peuple assemblé qu'elle a un fils, que ce fils a été éloigné dès son enfance dans la crainte d'un parricide, et elle le nomme pour roy. Androgide, présent à ce spectacle, s’écrie
Androgide donne des preuves qu'il a en effet tué cet enfant, qui étoit réservé à de si grands crimes. La reine voit donc en luy le meurtrier de son époux et de son fils. Androgide sort de l'assemblée avec des menaces. La reine reste au milieu de son peuple. Tout cela se passe au troisième acte. Elle a auprès d'elle cet Alcmeon qu'elle aime. Elle avoit jusqu’à ce moment étouffé sa tendresse pour luy; mais voyant qu'elle n'a plus de fils et que le peuple veut un maître, qu'Androgide est assez puissant pour luy ravir l'empire, et Alcmeon assez vertueux pour la deffendre, elle dit
A l’égard du caractère d'Androgide, l'ambition est le seul mobile qui le fait agir. Voicy un petit échantillon de l’âme de ce monsieur, c'est en parlant à son confident,
J'ay extrêmement changé le second acte. Il est mieux écrit, et baucoup moins froid. J'ay je l'ose dire embelli le premier, j'ay laissé le quatrième comme il étoit, j'ay extrêmement travaillé le cinquième. Mais je n'en suis pas content. J'ay envie de vous l'envoyer afin que vous m'en disiez votre avis avec toutte la rigueur possible. Hélas je parlois de tout cela à ce pauvre mr de Maisons au commencement de sa petite vérole. Il aprouvoit ce nouvau plan autant qu'il avoit blâmé les premiers actes de l'autre. Tenez moy lieu de luy avec monsieur de Formont, communiquez luy tout cela. Je compte luy écrire en vous écrivant, et je le suplie de me mander ce qu'il pense de tous ces nouvaux changements. Que j'ay envie et qu'il me tarde de vous revoir l'un et l'autre!
V.