1731-08-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Chrétienne de Castille Jeannin de Montjeu, princesse de Guise.

Madame,

Mon petit voyage à Arcueil m'a tourné la tête.
Je croyais n'aimer que la solitude et je sens que je n'aime plus qu’à vous faire ma cour. Au moins si je suis destiné à vivre en hibou, je ne veux me retirer que dans les lieux que vous avez habités et embellis. Je supplie donc v. a. et m. le p. de Guise de donner à votre concierge ordre de me recevoir à Arcueil. Il faudra que je sois bien malheureux si de là je ne vais pas vous faire ma cour à Monjeu.

Je viens de faire une infidélité dans le moment à la maison de Lorraine. Voici un prince du sang pour qui je remets ce matin un petit madrigal. Il mériterait mieux, car il m'a enchanté. Comment madame, il est aimable comme s'il n’était qu'un particulier!

Non, je n’étais point fait pour aimer la grandeur,
Tout éclat m'importune et tout faste m'assome;
Mais Clermont malgré moi subjugue enfin mon cœur:
Je crus n'y voir qu'un prince et j'y rencontre un homme.

Je crois lui donner par ce dernier vers la plus juste louange du monde et en même temps la plus grande.

Il faudrait que j'eusse l'esprit bien bouché, si ayant eu l'honneur de vous approcher, je ne savais pas donner aux choses leur véritable prix et si je n'avais appris combien la grandeur peut être aimable. Mais je vois qu'au lieu d'un billet je vous écris une épître dédicatoire et qu'ainsi je vous déplais fort. Je suis donc avec un profond respect.