aux Delices 4 juin [1757] près de Geneve
Voicy madame de quoy vous faire suissesse, si vous voulez vivre tranquile et cesser de vous ruiner en procez.
Ayez pitié de madame la comtesse de Bentink, son esprit a servi à la rendre aimable, qu'il serve à la rendre heureuse. Je suppose que quand vous m'avez ordonné de faire le marché de Monrion, vous avez pris une ferme résolution de dégager ma parole, et de ne me pas attirer des reproches du propriétaire. Vous avez la préférence sur baucoup de personnes qui voulaient louer cet hermitage. Quand il vous déplaira je vous en trouverai un autre. Je veux vous faire dame de campagne. Je veux que vous cultiviez des fleurs et des fruits.
Soyez Pomone et Flore au lieu d'être plaideuse. Je vous répète que vous trouverez à Lausane des personnes de condition très aimables, la belle fille du marquis de Langalerie, la fille du général Constant, et plusieurs autres qui joignent l'esprit et la politesse à la franchise du pays. Je vous répète qu'on vit avec simplicité à Lausane, qu'il n'y a aucun faste. Il y est proscrit par les loix comme par les mœurs. Vous y ferez tant et si peu de dépense qu'il vous plaira. Vous y vivrez avec quatre mille écus de rente, avec trois, avec deux. Vous y serez respectée, aimée, libre, heureuse, et moy madame je me regarderai comme le plus heureux des hommes de vous avoir attirée dans un pays digne de vous, et de pouvoir vous faire souvent ma cour.
Signez donc, ou renvoyez moy la pancarte non signée, et en ce dernier cas je pleurerai sur vous. Je pleure aussi sur cette duchesse que vous aimez tant et qui a des procez. Elle ne peut plaider elle même et elle a affaire à un praticien qui travaille nuit et jour à ses écritures. Je sçai qu'elle a un excellent conseil mais bon droit a besoin d'aide. Si vous savez quelque bonne nouvelle touchant ses affaires je vous supplie de m'en faire part. Mais pour vous madame ne plaidez plus. Mettez fin à un état si cruel. N'achevez point votre ruine, écrivez moy, donnez moy vos ordres, comptez sur moy plus que sur les avocats du conseil aulique. Vous savez avec quel tendre respect je vous suis dévoué.
V.