1739-01-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Mon cher abbé je reçois votre lettre du 21, et celle du 23 au 24.

Grand mercy, grand mercy, mais le point principal sera de commencer Le procez criminel; il seroit bon que Le chev. de Mouhi se chargeast de le poursuivre en son nom, comme pour son amy, si cela se peut. Mais si les loix s'y oposent (ce que je ne crois pas) voicy une procuration que je vous envoye. Vous la donnerez à quelque bon praticien qui agira en mon nom, s'il ne peut agir, au nom du chevalier de Mouhi. Mais ce praticien ne doit jamais agir, qu'au préalable vous n'ayez vu brûler tous les papiers que le ch. de Mouhi conserve, et qui pouroient me nuire, comme mon premier mémoire justificatif dont je ne suis pas content, et L'original du préservatif où il avoit mis des choses trop fortes dont je suis encore plus mécontent.

Il faut surtout qu'il m'écrive une lettre ostensible, par laquelle il demeure indubitable que je n'ay aucune part au préservatif, et Dès qu'il vous dira qu'il m'a écrit cette lettre, et que Le tout sera brûlé, le praticien commencera la procédure.

J'ai reçu les deux mémoires. Ne m'en envoyez plus mais brûlez les car je garde copie de tout.

Promettez de l'argent au ch. mais qu'il ne se presse point, et qu'il ne mette point de montre en gage. On n'a rien commencé. Il n'a rien eu à débourser. Il a gagné au préservatif dont il est l'auteur en partie. Il a eu 50lt. Il en aura encore, mais patience. Il n'y a point eu de feuille tirée, et l'imprimeur devroit rendre l'argent, mais il n'en a pas reçu. Ne montrez point mes lettres au chevalier, mais assurez le qu'il est impossible qu'il ait déboursé un sou, puisque le contre ordre vint en meme temps que le manuscript, et quand on auroit commencé, la journée d'un ouvrier vaut un écu et non pas 150lt. Si on agit au nom du chevalier de Mouhy dans le procez, que ce ne soit pas lui qui fasse les démarches. J'aimerois mieux ne rien entreprendre. Il faut un homme du palais.

Dites au petit Arnaud que j'écriray pour luy à mr Helvetius.

Il faut je vous en suplie me mander si les libelles achetez l'ont été devant témoins. Je crois qu'il faut d'abord rendre plainte contre les distributeurs, et vendeurs, et leur intenter procez afin qu'ils nomment l'auteur. Je crois qu'outre cette démarche nécessaire, on peut encor très bien rendre plainte contre l'abbé Desfontaines, comme ayant un intérest personel au libelle, comme ayant nécessairement fourni des anecdotes qui ne pouvoient être sçues, que de luy, telles que des lettres à luy écrites, sa généalogie, son alliance avec madame de Louraille, ses deffenses littéraires, enfin comme ayant déjà subi en 1736 une condamnation pour un libelle de cette espèce à la chambre de L'Arsenal, et surtout comme atteint de celuy cy par la notoriété publique.

Il faudra faire lever les procez verbaux de ses écrous au Chatelet en 1724 ou 1725, à Bissetre, et le commencement du procez criminel chez mr Rossignol si faire se peut.

L'abbé ne sera pas longtemps protégé par mr le duc, mais écrivez toujours qu'on ne peut rien faire sans ma présence, et recomandez à Dumoulin de m'écrire de même, et cela de la manière la plus forte.

Je vous prie d'envoyer sur le champ cette lettre à mr Dargental avec un des libelles, le tout cacheté.

Je vous embrasse bien tendrement.