1739-01-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Mon cher abbé c'est icy qu'il faut servir votre amy.

Mettons à quartier toute affaire, et ne songeons qu'à celle du libelle diffamatoire.

1º D'abord, voici mon nouvau mémoire que je vous prie d'envoyer sur le champ avec la lettre cy jointe à mr d'Argental.

2º non seulement je vous réitère la prière de parler fortement à madame de Berniere, mais je vous conjure de prendre force fiacres, de dire à Demoulin qu'il me serve selon les lettres qu'il a reçues, et de le bien encourager.

3º non seulement il doit agir de son côté avec la dernière vivacité; mais tout est perdu si vous n'agissez pas du vôtre; et si vous ne chargez pas quelqu'un de chercher le libelle, d'en déposer un exemplaire chez un commissaire avec procez verbal. Il faut charger un huissier intelligent de cette poursuitte sans aucun retardement.

(Le chevalier de Mouhy ne sait ce qu'il dit).

4º non seulement encor Dumoulin doit agir selon vos ordres mais je vous prie très instament de passer de grand matin, chez L'avocat Pitaval, chez Andry le médecin, chez Procope le médecin. Ils sont outragés dans la Voltairomanie. Il faut que le chevalier de Mouhi les ameute, les presse avec vous, de signer une requête à mr le chancelier, requête simple et en deux mots.

Les soussignez N. N. demandent humblement à mgr le chancelier, en leur nom et en celuy de tous les honnêtes gens, justice d'un libelle diffamatoire intitulé la Voltairomanie dont l'auteur est trop connu, et qu'il a osé mettre sous le nom d'un avocat.

Pareilles requêtes à mr de Maurepas, à mr d'Argenson, à mr Heraut, à mr le p. général.

Cela est de la dernière importance.

Voyez si vous avez quelqu'un qui puisse se charger de faire toutes ces commissions au lieu de vous. Vous luy donnerez vos ordres, le payerez bien et presserez le succez de ses démarches.

On a des nouvelles du médecin Andry chez Chaubert, le libraire, et chez tout libraire,

de Procope au caffé chez son père,

de Pitaval chez le libraire Cavelier.

Dès que mr d'Argental aura aprouvé mon nouvau mémoire il vous le renverra, et vous le donnerez au chevalier pour le faire imprimer sur le champ; il est meilleur que le premier, plus modéré et peutêtre plus touchant.

On pouroit même demander un privilège, mais cela retarderoit trop.

Vous pouriez adroitement faire venir Darnaud dans ces circomstances, le loger et le nourir quelque temps, et le faire servir non seulement à courir partout, mais à écrire. Cela doit partir de vous même. Un mot de lettre à Vincennes sur le champ fera tout.

Je vous prie d'envoyer chercher un jeune étudiant du collège de Montaigu nommé l'abbé du Pré, et de lui donner 6lt.

Je vous prie de m'envoyer les observations sur les écrits modernes depuis le nombre 225 inclusivement

mais qu'on ne sache pas que c'est pour moy.

Je reçois dans ce moment votre lettre. Il faut rembarrer le chev. quand il parle d'imprimer à mon profit. Faites luy sentir que c'est pour luy faire plaisir uniquement qu'on le charge d'un tel écrit, et qu'assez d'autres demandent la préférence.

Il n'y a rien à craindre, et un tel mémoire peut s'imprimer tête Levée.

Dès que mr Dargental vous l'aura renvoyé, vous en ferez faire 5 ou 6 copies par 5 ou 6 écrivains. Il faut qu'elles soient extrêmement correctes. Vous en enverrez à mrs de Maurepas, d'Argenson, Heraut, Daguesseau, avocat général.

C'est dès qu'on aura fait le procez verbal du dépost du libelle chez un commissaire, qu'il faut obtenir monitoire. Chargez de cela un huissier adroit. N'épargnez point l'argent, cela m'est d'une conséquence extrême. Surtout retirez tout papier chez le chevalier je vous en suplie.

Non sans doute vous ne paraîtrez pas dans le procez criminel. Je ne demande qu'un huissier, un homme d'affaires intelligent que vous aiguillonnerez.

Je vous conjure de suivre cette affaire avec la dernière vivacité. Point de si, point de mais, rien n'est difficile à l'amitié.

Vous pouriez très bien écrire une lettre à un amy en l'air dans laquelle vous marqueriez votre indignation contre tout ces libelles, et vous rendriez gloire à la vérité en connaissance de cause comme un témoin oculaire de ma conduite et de mes affaires depuis très longtemps. Je laisse à votre cœur le soin de la composer.

Je vous embrasse.

V.