1739-02-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Je reçois ce 2 février à 7 heures du soir, votre lettre du 31 janvier, mon cher abbé.
Je suis extrêmement affligé, que l'on n'ait pas commencé la procédure.

Si mr de Montigny a acheté en effet, comme il est très vray, chez Merigot le libraire, un de ces libelles, si Chaubert luy en a promis un longtemps, si le chevalier de Mouhi en a déposé un chez le commissaire le Comte, si le gendre de votre frère, et une autre personne, en ont acheté, et si votre frère conoit les vendeurs, n'en voylà t'il pas assez pour commencer sans perdre un moment? Il est afreux qu'on ne veuille pas me laisser aller; mais enfin l'amitié l'emporte. Au nom de l'amitié mon cher abbé secondez moy, et réparez mon absence.

Voicy ma réponse à mr Begon.

A L'égard du chev. de Mouhi, il a trop d'esprit pour penser que je croye aujourduy qu'on a travaillé 4 ou 5 jours, puisqu'il me manda luy même qu'on n'avoit travaillé qu'un soir. Si on avoit travaillé 5 jours le tout eût été fait. Qu'il vous montre l'ouvrage des 5 jours. Je suis bien aise de luy faire plaisir, mais je suis très aise aussi de ne faire que ce que je dois, et ce que je veux. Jamais on n'a donné 12lt à un commissaire pour une plainte, mais je passe par dessus cette bagatelle. Vous luy avez donné 50lt, et deux louis, cela est quelque chose. Je tâcheray de luy donner encor dès que j'auray de L'argent, mais àprésent que vous n'en avez point, je vous prie de le luy dire tout simplement. Si mr d'Argental est d'avis qu'on imprime, vous pourez alors en donner un exemplaire bien exact au chevalier avec les corrections que je vous ay envoyées; mais vous le luy donnerez, non pas comme un service que je le prie de me rendre, mais comme un plaisir, que je luy fais. Il en fera ce qu'il voudra, je ne le prie de rien, je luy fournis une occasion de gagner de l'argent s'il le veut, et c'est tout.

Mr Begon est bon pour être procureur dans l'affaire, mais il s'en faut bien que cela suffise. Il faut quelqu'un qui sollicite, qui agisse, qui fournisse des pièces, des témoins, qui se donne des peines continuelles, ce que l'on apelle un solliciteur de procez, qui moyennant une certaine somme conduise l'affaire. Mr Begon ne fera que ses écritures. Votre frère ne connaîtrait il personne qui pût être mon homme? Proposez le à Demoulin, je vais luy en écrire. Mais encor une fois, je vous suplie mon cher amy de me rendre une réponse positive sur ce que je vous demande depuis longtemps. Votre neveu, disiez vous, avoit acheté de ces libelles, vous en aviez six exemplaires, et vous ne me dites pas d'où ils sont venus. Mr Begon me mande qu'on ne peut rien faire sans témoins. Votre frère en a, et ny luy, ny vous ne m'en parlez! Je vous demande en grâce de me mettre au fait, car jusqu'icy cette affaire ne sert qu'à me désespérer.

Où d'Arnaud a t'il pris le libelle? Je vous prie de luy demander et de ne pas oublier. Je vous le demande en grâce.

Je prie mr votre frère de m'envoyer une nouvelle édition de mes œuvres qui dit on paroît imprimée à Rouen cette année, et dont mr Darnaud me parle.

Je le prie d'y joindre La dernière édition de Matanasius avec la vie d'Aristarchus.