à Monrion 8 avril [1757]
Il y a tantôt huit mois madame que vous me chargeâtes de vous chercher une maison dans le voisinage de Lausane.
Je vous en trouve une mais vous pouvez avoir changé huit fois d'avis depuis ce temps là. Ce n'est qu'une fois par mois, et vous m'avouerez que ce n'est pas trop. Mais ce qui est trop, c'est huit mois de silence. Vous m'écrivez par boutade et je vous suis attaché continuement. C'est un mauvais marché que j'ay fait avec vous mais je le tiendrai. J'ay l'honneur de vous donner avis que je change d'avis aussi tout comme un autre. Je quitte cette maison de Monrion près de Lausane pour en prendre une baucoup plus belle dans Lausane même. Cette très vilaine ville m'a plu baucoup, parce qu'il y a bonne compagnie, bien de l'esprit, bien des talents. Nous y avions joué comédie, tragédie, pièces nouvelles; on venait à nous de vingt lieues à la ronde. Me voicy lausanois pour les hivers. Voulez vous madame, oui ou non, une fois pour touttes, ma maison de Monrion? Le propriétaire poura vous la laisser pour environ cent trente écus d'Allemagne par an. Il y a 14 fenêtres de face, trois chambres entièrement meublées, commodes, table de marbre, 5 cheminées, cinq beaux poêles, belle cuisine, écurie pour huit chevaux, remise pour deux carosses, vastes galetas, greniers, grande cave, jardin, verger, avenue, promenade. Vous pouvez y venir coucher le premier octobre, mais il faut que le bail soit fait pour le 1er juin. En voulez vous, n'en voulez vous pas, madame? Plusieurs locataires s'offrent. J'ay demandé la préférence pour vous, et je vous demande une réponse prompte et décisive. Si vous ne m'écrivez pas par le 1er courier après la réception de ma lettre je tiens le marché rompu. Je serai désespéré d'être privé de l'espérance de vous avoir pour voisine, et je croirai fermement que vous n'êtes pas si filosofe que moy. Je me suis fait Suisse, que n'êtes vous Suissesse! Ah madame la liberté vaut mieux que des procez!
Recevez mes respects, mes regrets, et mon attachement.
V.