à Morat 4 juillet [1758]
Je vous écris au hazard madame ce petit billet en courant, acoutumez vous à la simplicité helvétique.
Je suppose que vous faites à mon hermitage des Délices l'honneur d'y loger en passant. Je suppose que vous avez pris touttes les précautions nécessaires pour que tout votre monde soit couché, alimenté, désaltéré à Monrion. Vous savez qu'il n'y a que trois lits, et très peu de meubles.
Vous avez trois jeunes gens qui étudient. Il y a un collège à Lausane. Si vous voulez les mettre en pension dans la ville, il y a un marchand très honnête homme nommé Obousier qui peut les loger et les nourir à bon compte, et qui d'ailleurs fournira toutte votre maison, comme il fournit la mienne. Il y a un premier pasteur de la ville nommé mr. Polier de Bottens, homme actif et officieux qui doit avoir été à Monrion, et qui vous rendra tous les services qui dépendront de luy.
Pour mes nièces et pour moy, vous jugez bien que nous serons entièrement à vos ordres quand nous serons à Lausane. Le point principal est que vous soyez à votre aise à Monrion. Si vous vous y trouvez bien, vous y resterez. Sinon, vous trouverez aisément quelque chose de mieux. C'est toujours un fort bon entrepôt. Vous pouvez avoir aisément six chambres de maitre, et loger dans des galetas toutte la livrée. Nous y avons été six maîtres et vingt domestiques sans être incomodez.
A l'égard de la société de Lausane, vous y songerez quand vous serez établie. Il faut commencer par être bien chez soy. Je me faisais un plaisir extrême de vous accompagner à Monrion, de vous y voir établie, de vous y servir. Vous ne l'avez pas voulu. Vous m'avez fait un mistère de votre arrivée. Vous m'avez privé d'un bonheur sur le quel je comptais. Je ne cesserai de vous le reprocher et d'être à vos ordres.
V.