1770-06-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Gaspard Fabry.

Vraiment, Monsieur, nous avons toujours paié les vingtièmes pour toutes les pièces qui composent le territoire de l'hermitage.
Mais vous sentez bien quelle est la chicane du genevois Vernet. Vous devez avoir vu par l'aveu du nommé Le Sage qu'il agit pour Vernet même, qu'il veut nous faire paier en détail pour les champs et prés cy devant apartenants à Pasteur pour lesquels nous avons déjà paié en gros. Il veut faire accroire que ces pièces ne sont point de l'hermitage acheté des Choudens, mais qu'elles apartenaient à ce Pasteur dont il a acheté pour cent écus le bien qui lui restait et qui vaut quinze mille livres à ce qu'on m'a dit.

Nous vous répétons, Monsieur, que nous avons les actes par lesquels feu Pasteur vendit aux Choudens ce pré et ce champ; et les actes par lesquels Choudens nous vendit le tout pour la somme de six mille livres.

C'est sur ces actes mêmes que le rejet est spécifiés, et c'est malgré ce rejet que Vernet fait agir le nommé Le Sage, et demande avec absurdité le paiement de la taille que nous ne devons point, et le paiement des vingtièmes que nous avons faits régulièrement.

Le ridicule de cette chicane saute aux yeux, et vous voiez assez dans quel esprit Vernet fait cette tentative. En un mot, nous ne devons rien, et nous ne souffrirons pas que des genevois aient l'insolence de nous vexer dans le roiaume.

Aiez la bonté de relire les propositions du nommé Le Sage faittes au nom de Vernet, et vous en serez indigné.

A l'égard du sr Raffo vous voyez clairement, Monsieur, qu'il veut abuser de la nécessité où sont les émigrants d'être logés. Les choses nécessaires ne doivent pas être survendues; il faut un prix raisonable au pain et aux maisons. Je suis très persuadé que vous pouvez marquer pour les émigrants le logement de Raffo, Savoiard, comme on marque des logements pour les troupes. Mr Le Duc De Choiseul trouve très bon actuellement qu'on loge chez Vernet, et trouvera très bon qu'on loge dans nôtre village avec le consentement du seigneur. Quand vous aurez donné un ordre aux émigrants de loger chez Raffo, il sera juste d'assigner un loier proportioné au prix que lui a coûté la maison. S'il veut la vendre on poura lui donner aussi quelque chose au delà du prix de l'achat.

Mais nous pensons que vous êtes en droit d'assigner cette maison aux émigrants en considération de la nécessité pressante, et l'utilité d'une fabrique qui fait déjà des progrès sensibles. Nous nous en remettons à votre prudence et à votre bonne volonté.

Nous avons l'honneur d'être avec bien de la reconnaissance

Monsieur

Vos très humbles et très obéissants serviteur et servante.

Voltaire Denis