1769-09-13, de Joseph Audra à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous recevez aujourd'hui, Mon vénérable patriarche, un compte exact de l'affaire de Sirven.
Elle est en très bonnes mains; et Mr la Croix s'y intéresse avec tant de zêle qu'il est juste de lui laisser la gloire de vous instruire en détail. Il m'a fait lire la lettre que vous lui avez écrite. Elle a passé dans les mains de quelques uns de nos amis; eux et moi sommes très sensibles au service que vous voulez rendre au théâtre, et nous osons presque nous flatter de vous voir achever de former une bonne actrice et un bon acteur que nous avons à Toulouse. Si vous saviez avec quel empressement vous êtes désiré ici, et avec quelle satisfaction vous y seriez accueilli, peut être que le voyage ne vous effrayeroit pas: je puis au moins assurer que la douceur du climat vous dédommageroit abondamment de vos fatigues.

Croiriez vous Mon vénérable patriarche que j'ai eu la témérité de toucher à votre histoire générale, et que j'ai pris beaucoup de peine pour gâter ce chef d'œuvre. Les devoirs de ma profession et mon zèle pour les jeunes gens m'ont raffermi contre une hardiesse qui paroit d'abord si inexcusable. Il me falloit un livre classique pour servir de texte à mes leçons: mon maitre l'avoit composé; mais il n'étoit pas à la taille de tout le monde. Pour moi qui sapientibus et insignentibus debitor sum j'ai fait un habit superbe à mes élêves, de ce vêtement magnifique qui seul est digne de couvrir la nudité de la nature humaine entière, si cruellement dégradée par la superstition et le fanatisme. Je me flatte que votre amour pour la jeunesse excusera mon audace. Du moins puis-je vous assurer qu'après votre admirable ouvrage, il n'en est point de meilleur en France que celui que je donne aux jeunes gens. J'aurai soin de vous faire parvenir l'avertissement que j'ai mis à la tête de l'édition, dès qu'il sera imprimé.

Vous y verrez que l'essai sur l'histoire générale à l'usage des collèges, est une préparation évangélique qui donnera à tous ceux qui la liront la soif la plus ardente du véritable évangile, et le désir le plus vif de se désaltérer dans ses eaux.

Au surplus si mon vénérable Maitre désapprouve ma hardiesse, il est encore tems de tout abandonner, quoique je n'aie rétranché que très peu de vérités, quoique je n'aie pas dit un seul mensonge, et que je n'aie le plus souvent adouci que quelques termes. Je soumets humblement mon travail et tout le fruit qu'en retireront les jeunes gens, à l'homme que tous les sages, jeunes et vieux reconnoissent pour le bienfaiteur de l'humanité.