1769-02-24, de Joseph Audra à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous envoye Mon vénérable patriarche, la portion de la procédure que nous avons extraitte.
Vous recevrez le reste par le premier courier. Nous l'avons toute lue: et il est sûr que l'alibi est bien prouvé et n'est contredit par personne. Mais d'autre part vous verrez par les charges, que le père avoit trop de zèle pour sa façon de penser et qu'il est presque impossible de croire que lui, sa femme et le cousin n'aient quelque fois maltraité cette fille qui avoit dans sa teste tantôt bonne tantôt mauvaise, une autre façon de penser qu'eux. Ces torts assez graves, et qui rendent très difficiles le relaxe ou renvoi d'accusation, exigent plus que jamais que Mr Sudre ne soit pas chargé de cette affaire et que ce soit mr Lacroix. Il est si agréable à Mr le procureur G. que je suis persuadé qu'il obtiendra des conclusions favorables que l'on pourra faire passer au jugement; autrement il seroit à craindre que le père ne fût admonesté ou même banni pour quelque tems.

La continuation de l'extrait de la procédure que je vous enverrai, contiendra de nouvelles charges toutes désagréables, et il n'y a de bien dit que l'alibi prouvé et non contredit. Vous voyez donc que ceci est une affaire de faveur et de la plus grande circonspection. Mon ami demande de vous rester encore inconnu afin de vous mieux servir.

Lorsque vous m'écrivez ne parlez pas de lui, écartez entièrement les Calas, parlez avec la plus grande modération, plaignez L'accusé, et peignez ses souffrances dans un pays étranger. Rendez témoignage à sa bonne conduite, mais rien de plus. En un mot faites une lettre ostensible dans l'occasion à de zélés catholiques et cependant honnêtes gens. Elle ne fera que plus de fortune auprès des sages dont le nombre augmente chaque jour.

J'ai numéroté les témoins par des chiffres. Le mot de simple employé souvent veut dire insensé.

Adieu Mon vénérable papa. Aimez votre fils et comptez sur lui.