1769-04-26, de Joseph Audra à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon vénérable patriarche,

J'ai été nommé ici à la place de professeur d'histoire au collège royal.
Je donnerai des leçons aux étudiants des classes supérieures, j'en donnerai de publiques où des magistrats et des ecclésiastiques se proposent d'assister et qui seront ouvertes à tout le monde.

Vous savez qu'on ne saurait enseigner aucune science sans de bons traités classiques qui renferment tout le nécessaire, et qui ne contiennent rien de plus. Je connais un bon livre de cette espèce depuis Charlemagne jusqu'à nos jours: mais malgré les éloges que son auteur donne à Bossuet, je crois que cet intolérant n'a saisi qu'en partie le véritable esprit de l'histoire, et je range son petit discours dans la classe de ceux où le superflu abonde et où le nécessaire manque.

Si la tendre humanité de mon vénérable patriarche, si son zèle pour les jeunes gens, si son amour pour les lettres, si son affection pour moi pouvaient le déterminer à mettre dans un volume l'histoire ancienne et à l'amalgamer avec son admirable ouvrage, la France aurait un cours complet d'histoire qui servirait à tous les professeurs qui semblent devoir se multiplier bientôt à l'exemple de Paris et de Toulouse. Ne refusez pas à tous les bons citoyens un ouvrage si nécessaire.

Par les arrangements que j'ai pris, l'histoire des Juifs et de leur religion ne me regarde pas. Vous ne parleriez donc de ces gens là que pour indiquer en deux mots et selon leur petite importance, les différentes formes de leur gouvernement sont des juges et sont des rois, et après leur retour de la captivité sont des pontifes qui devinrent pour quelque temps des rois. Vous laisseriez là la création et le déluge; et vous ouvririez votre carrière par les monuments authentiques qui nous restent des temps reculés, mais postérieurs à cette contentieuse époque.

Les divers traits épars dans les écrits des philosophes, surtout des orientaux sur la loi naturelle, sur l'existence de dieu, la providence et l'immortalité de l'âme figureraient d'autant mieux qu'ils contrasteraient sans mot dire avec la stupidité et la brutalité des Juifs. Vos bons amis les Persans, les Indiens et les Chinois recevraient des éloges mérités, ainsi que tous les autres peuples qui ont vu un peu clair sur les devoirs de l'homme.

Convenez, mon vénérable patriarche, que l'ouvrage que je vous demande est un supplément absolument nécessaire à votre grande histoire. Ce volume de plus la rendra complète, et vous débarrasserez le public d'un ouvrage insuffisant, dangereux et sophistique qui fait beaucoup plus de mal que de bien.

Je voudrais que vous imitassiez son auteur seulement dans un point. C'est dans son attention à n'oublier aucun nom important parmi ceux que renferment les tables chronologiques.

Adieu, mon vénérable patriarche, je dois commencer mon cours public en novembre. Mes disciples et moi avons le plus grand besoin de vous. Tous les gens de lettres, tous les pères de famille vous demandent ce petit travail par la bouche de celui des citoyens qui vous est le plus attaché.