24e janv. 1770
Mon cher Cicéron, je reçois les papiers que vous avez eu la bonté de m'envoier.
Vous voiez bien qu'il n'y a là qu'un ménage de gâté. J'entends fort mal les affaires; mais je ne crois pas que la sentence du Lieutenant civil qui ordonne qu'on enfermera chez des moines par avis de parents un fils de famille, en cas que le Roi lui rende la liberté, puisse subsister après dix ans, quand le père et la mère sont morts, quand le fils de famille est père de famille, quand il a cinquante trois ans, quand sa mère s'est oposée à cette étonnante sentence, et l'a fait son légataire universel.
J'ignore encor si l'homme aux 53 ans ne ressemble pas aux nèfles qui ne meurissent que sur la paille. Je me suis chargé par pitié de deux personnes fort extraordinaires, l'une est cet original, l'autre est une nièce de l'abbé Nollet qui lui est attachée depuis quatorze ans, et qu'on va tâcher de marier.
L'affaire principale est d'achever de paier le peu de dettes contractées dans ce païs par le sr interdit, de procurer au dit interdit des meubles, et de ne lui pas laisser toucher un denier, attendu que je suis prêt à signer avec les parents qu'il a la tête un peu légère, avec l'air posé d'un homme capable.
Je vous suplie très instamment, mon cher Cicéron, de me donner des nouvelles positives des deux mille écus, afin que je prenne des mesures justes, et qu'après l'avoir alimenté, rasé, désaltéré, porté, pendant un an, on ne m'accuse pas d'avoir la tête aussi légère que lui.
Point de nouvelles de Sirven, sinon qu'il est à Toulouse, et qu'on y veut jouer les Guêbres. Autre tête encor que ce Sirven! Le monde est fou.
Mille tendres respects à vous et à madame de Canon, à vous les deux sages, et les deux sages aimables.
V.