1770-01-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

Mon cher Cicéron, il y a un mois que je n'ai entendu parler de Sirven.
Je lui ai envoié quelque argent dont il n'a pas seulement accusé la réception. Je ne sais plus où en est son affaire, ni ce qu'il fait, ni ce qu'il fera. Si j'en aprends quelque chose je ne manquerai pas de vous le mander. Il fait si froid dans nos quartiers que tous les juges, les plaideurs et les huissiers se tiennent probablement au coin du feu.

A l'égard de l'affaire de ce pauvre petit diable qui a fait tant de sottises, et qui en est si durement puni, je suis toujours tout prêt de le sécher au bord du puits du fond duquel je l'ai tiré, mais je vous avoue que je ne voudrais pas me hazarder à écrire à mr Gerbier que je n'ai pas l'honneur de connaître, et à essuier un refus. J'aimerais mieux la voie de ce procureur qui est venu vous parler; celà tirerait moins à conséquence.

Il serait bon, d'ailleurs, de savoir s'il y a quelques fonds sur lesquels on pourait donner six mille livres au petit interdit; car s'il n'y en a point toutes les démarches seraient peines perdues, attendu que sa sœur ne veut rien avancer, et qu'on ne voit pas où l'on prendrait ces deux mille ecus. Je ne crois pas qu'on les assigne pour le présent sur les postes. Vos commis de ce grand bureau des secrets de la nation se tuent comme Caton, mais Caton ne volait pas des caisses comme eux.

Vôtre Roi de Portugal n'a point été assassiné; il a eu quelques coups de bâton d'un cocu qui n'entend pas raillerie, et qui l'a trouvé couché avec sa femme. Celà s'est passé en douceur, et il n'en est déjà plus question.

Mille respects à made vôtre femme; conservez toujours vos bontés pour l'homme du monde qui vous est le plus attaché, et qui sent tout le prix de vôtre mérite et de vôtre amitié.

V.