1765-01-04, de — Duchâtelet à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous aviés annoncé Monsieur, pendant un temps que vous ne retireriés point Les lettres qui ne seraient pas affranchie; j'ay fait néantmoins une distinction des motifs relatifs à votre volonté, et je croirais vous faire tord, connaissant votre façon de penser généreuse si bien caractérisé dans vos écrits, si je ne vous dépeignais pas une position touchante qui m'accable, et me fait rechercher du soulagement jusque parmi les hécos.

Né d'un père et d'une mère qui sont morts de chagrins d'avoir été trompés par des âmes vénales j'ay hérité du même sort, et j'éprouve continuelement que l'état d'homme de condition n'est plus qu'une chimère en France, et que toute éducation qui n'est plus formé par des calculs d'intérests, cesse d'avoir une réalité, et l'honneur, ainsi que cette façon de penser, toujours vraye deviennent un hors d'oeuvre des plus embarrassants.

Abandonné de père et de mère à L'âge d'un an, j'ay été Livré à des tuteurs avides qui ont culbuté ma maison au point que de troix terres, il m'en reste une que je vas être forcé de vendre si je ne trouve douse mille francs à emprunter d'ici à deux mois qui est la seule chose que je dois, dettes que j'ay été forcé de contracter pour soutenir douse procès que j'ay gagné contre gens qui voulaient s'emparer de mon bien en vertus de plusieurs arrêts qu'ils avaient obtenus de concert avec mon tuteurs qui m'avait livré pour vingt cinq louis à ces mercenaires d'une manière singulière. Ce tuteur avait un droit de committimus par sa charge de maitre des requêtes ensorte qu'il s'accorda avec un ecclésiastique nomé L'abé de la Chapelle, honcle du médecin de la Chappelle de Chatillion en Bugey que vous connaissé, pour reconnaitre une obligation ancienne qui n'avait plus de force ayant été éteinte par la vente d'un bien, et firent rendre de concert à Paris des sentences des requêtes qui annullaient La vente du bien qui avait payé La dette quoyque ce même bien eusse été discuté sur le dit abé pour payer ses dettes, et enfin je me trouvais par ces sentences débiteur d'un principal et intérests qui se montaient très hauts. Comme cet abbé fabriquait des titres pour soutenir sa manoeuvre il m'en a beaucoup coûté pour gagner ce procès qui ne m'a rien rendu ayant affaire à un homme insolvable et ayant eu la même destiné avec ceux contre lesquels j'ay plaidé. Je me trouve donc dans La dure perspective après avoir essuyé une refforme en France; après avoir refusé l'hoirie de feu Mr de Veuillerans près de Losanne plustôt que de me faire calviniste; après surtout avoir refusé le régiment du baron de Gy en Savoye, mon parent, pour demeurer fidèle à mon serment de fidélité envers mon Roy; touts ces motifs dis je? réunis à ce que je suis chargé de cinq fils et d'une fille; né homme de condition ayant une femme aimable d'une grande maison qui a été ainsi que moy forcé de mourir de faim pour soutenir douse procès que l'injustice avait commencé et que les mauvaises loix ont éternisés; enfin après avoir fait la fortune à deux garnemens qui ne respirent qu'à abréger mes jours, je me vois donc à la veille après n'avoir rien à me reprocher de voir vendre ma dernière terre par subastations dont les fraix absorberont le plus clair, si je ne trouve douse mille franc à emprunter, ou quelques ressources dictés par un génie tel que le vôtre Monsieur, pour me sortir du Labyrinthe où je vas être; daigné donc je vous prie m'aider de vos lumières, car je vous assure que je suis dans un cahos où mon raisonement se perd et j'ay bien de peine à sçavoir si j'ay bien ou mal fait et si je trouverai un moyen à être bien ou mal.

Si vous daigné m'honnorer d'une réponse mon adresse est chez Mlle Charpin, rüe de L'Arcenal à Lyon et si je vous puis être ici de quelque utilités soit auprès de libraires ou autres vous pouvés disposer de moy.

J'ay L'honneur d'être avec les sentiments les plus distingués

Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Duchatelet