1759-06-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à François de Bussy.

L'oncle et la nièce Monsieur se joignent pour vous présenter les plus trendres remerciements.
Vous avez fait encor plus qu'ils n'osaient demander, vous avez fait coucher en parchemin le nom de l'oncle, qui n'osait ny le demander ny l'espérer. Mille grâces vous soient rendues, nous avions bien dit qu'une affaire entre vos mains était une bonne affaire.

Vraiment si nous avions deviné que vous pousseriez les bontez jusqu'à donner le brevet à l'oncle comme à la nièce nous aurions été plus hardis que nous ne l'avons été.

Ecoutez nous s'il vous plait, voylà grâces à vos bontez Fernex libre comme il convient aux Suisses.

Pour être doublement libres, L'oncle acheta la comté de Tourney du président de Brosses à vie, en même temps qu'il achetait Fernex pour la nièce. Ce Tourney tout ancien dénombrement, franc de toutte imposition quelconque n'ayant afaire ny à intendant ny à fermier général tanta l'esprit helvétique de l'acquéreur. Le vendeur par un article secret du traitté luy garantit ces franchises et ces droits, et ajouta même sa parole d'honneur ce qui est comme vous savez en fait le traittez un pacte avec le diable.

Malgré cette garantie si sacrée, les fermiers généraux m'ont attaqué, et ont prétendu que selon le droit des gens cette garantie était sans préjudice du droit d'un tiers. Un intendant non moins dangereux que fermiers généraux peut encor prétendre qu'un président n'a pu me vendre et garantir des droits qui luy sont personels.

Me voylà donc exposé à plaider au conseil et à perdre contre un présidt bourguignon; à dire, j'ay votre billet de garantie, payez pr moy. Le conseil mr répondra, le beau billet qu'a Lachatre!

Je n'ay point osé dans mes requêtes à mr le duc de Choiseuil et à vous, insérer un petit mot de Tourney, parce que je n'osais faire retentir mon nom aux oreilles des rois.

Je me serais enhardy à demander dans le brevet insertion des droits de Tourney, j'aurais sauvé au présidt son honneur, et celuy de sa terre, j'aurais tout prévenu si j'avais été assez hardi pour prévoir vos bontez. Maintenant que la chose est faitte, et qu'on a signé Louis, je n'aurai pas l'insolence de vous importuner encore. Je dois m'en tenir à la reconnaissance, ce sentiment là est bien plus agréable que celuy des besoins. Il serait douloureux d'être libre à Fernex et de ne l'être pas à Tourney dans le voisinage, d'avoir acheté très chèrement des droits, et de n'en pas jouir, d'avoir un procez avec les meilleures raison possibles et de le perdre.

Comment faire? da mi consiglio. Vous nous avez fait du bien, à qui demanderons nous conseil si ce n'est à vous.

Quoy qu'il en soit nous sommes et serons tant que nous vivrons, à Fernex, à Tourney, aux Delices, à Lauzane, et partout dans les neiges trois mois de l'année

Vos très humbles, très obéissants et obligez

serviteur et servante, oncle et nièce

les marmotes du Jura,

L'oncle V. La nièce Denis