1759-06-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles de Brosses, baron de Montfalcon.

Quand je demanday monsieur il y a quelques semaines un brevet du Roy en faveur de ma nièce à qui j'ay donné Fernex, je n'osay point parler de moy.
Je n'eus pas l'insolence de prétendre que mon nom retentit aux oreilles du roy. Cependant on a dressé le brevet pour moy comme pour madame Dennis. Si j'avais cru être en faveur à ce point je n'aurais pas manqué de faire insérer dans la patente un petit mot de confirmation pour Tournei. Ma modestie m'a perdu, et je n'aurai pas je crois le courage d'importuner le roy une seconde fois. Il m'enverrait promener, et il aurait raison. Il paraît donc qu'il n'y a d'autre ressource pour m'assurer les droits de Tourney que vos deux billets de garantie. Si ces droits vous sont personels, vous n'avez pas dû me les assurer; s'ils sont à la terre, c'est en votre faveur que Mr l'intendant de Bourgogne me laissera jouir des droits de votre terre que vous m'avez vendue à vie, et dont la propriété vous demeure. Or il est clair que si les fermiers généraux peuvent m'enlever le privilège du centième denier, ils peuvent m'enlever tous les autres. Tournay par votre brevet n'est point sujet au centième, puis qu'il est décidé que les genevois n'en doivent pas, et que vous êtes censé genevois. C'est donc votre privilège. Or vous m'avez vendu tous vos privilèges. Vous me les avez garantis. Je n'ay assurément acheté la terre qu'à cette condition. Vous m'en avez donné votre parole d'honneur. Vous êtes engagé tout autant par les bontez dont vous m'honorez. Je compte donc entièrement sur votre amitié, sur vos paroles, sur votre liaison avec M. l'intendant de Bourgogne. Je ne suis attaché à ne pas payer le 100me que dans la juste crainte que la perte de ce droit n'entraine celle de tous les autres. Je vous avoue que j'aimerais mieux renoncer à la terre que de perdre les franchises pour les quelles seules je l'ay achetée. Je dois être absolument privilégié comme vous, avoir permission de faire passer cent coupes, je dois ne connaître ny dixième, ny capitation, ny lods et ventes, ny aucune imposition de quelque nature qu'elle puisse être. Il serait bien étrange que je fusse libre à Fernex, et esclave à Tourney. Mr l'intendant est de vos amis, il a paru être bien aise de notre marché. Vous pouvez aisément monsieur tirer une parole de luy qu'il ne m'inquiètera jamais sur aucun des droits dont vous avez joui. Si ce n'est pas à moy qu'il fait une grâce, c'est à vous qu'il rendra justice. C'est assez que j'aye baucoup à me plaindre de son frère l'avocat général. Son discours au parlement ne luy a pas fait d'honneur. Je veux [vous avo]ir l'obligation de tout ce que son frère poura faire pour réparer la conduitte fort peu raisonable de ce magistrat. Il a cru que je m'étais expatrié, et il me semble comme à tout le monde, qu'il a parlé d'une manière très injurieuse et très injuste.

Je présume que vous n'avez pas été assez bon pour demander un privilège tipografiq: On peut très bien parler des anciens, sans demander permission aux modernes. Que ne faittes vous imprimer chez ces unitaires de Geneve? Envoyez moy votre manuscrit, et je vous réponds que la chose sera bientôt faitte.

J'ay vu ce duc de Noya, di caza papale, e gran ricercatore d'antiche coyonerie. C'est un très bon homme.

Vous regrettez donc votre ancien pont levis et votre porte par où l'on ne pouvait passer. Venez venez voir comme les choses sont aujourduy et j'arracherai de vous des remerciments, mais pour Dieu assurez moy liberté, entière liberté, liberté dans la quelle je veux vivre et mourir.

Le mantau, le coït, l'huile d'onction, et la fornication d'Uoliba, dans Ezechiel ne valent pas son déjeûner.