1732-05-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

J'ay reçu aujourduy Eriphile, mais avant de vous la renvoyer, il faut que vous me jugiez encor de petit commissaire.
Voicy ce que j'allègue contre moy même. Je fais la fonction de l'avocat du diable contre la canonisation d'Eriphile.

1º en votre conscience n'avez vous pas senti de la langueur et du froid lors qu'au troisième acte Theandre vient annoncer que les furies se sont emparées de l'autel etc.? Ce que dit la reine à Alcmeon dans ce moment est beau, mais on est étonné que ce bau ne touche point. La raison en est à mon avis que la reine est trop longtemps bernée par les dieux. Elle n'a pas le loisir de respirer, elle n'a pas un instant d'espérance et de joye, donc elle ne change point d’état, donc elle ne doit point remuer le spectateur, donc il faut retrancher cette fin du troisième acte.

Le quatrième acte commence avec encor plus de froid. Teandre y fait un monologue inutile. La scène qu'il a ensuitte avec Alcmeon me paroît mauvaise parce que Teandre n'y dit rien de ce qu'il devroit dire. Ses doutes équivoques ne conviennent point au téâtre. S'il sait qu'Alcmeon est fils de la reine, il doit l'en avertir, s'il n'en sait rien, il ne doit rien en soupçonner. Cette scène devroit être terrible et n'est pas suportable. L'ombre venant après cette scène ne fait pas l'effet qu'elle devroit faire, parce qu'elle en dit moins que Teandre n'en a fait entendre. Enfin la reine ne finit point cet acte par les sentiments qu'elle devroit avoir. Elle ne marque que le désir d'Epouser Alcmeon. Il faut qu'elle exprime des sentiments de tendresse, d'horreur, et d'incertitude.

Il me paroit qu'il y a très peu à réformer au cinq, et rien au premier ny au second.

Prononcez donc mes chers amis,
Vous êtes ma cour souveraine,
Et je recevray vos avis
Comme un arrest de Melpomene.

V.