[c.1 June 1733]
Je vous soupçonne de philosopher à Canteleu avec mon cher, aimable et tendre Cideville. Vous savez combien j'ai toujours souhaité d'apporter mes folies dans le séjour de votre sagesse.
Mais je suis entre Adélaïde du Guesclin, le seigneur Osiris et Newton. Je viens de relire ces lettres anglaises moitié frivoles, moitié scientifiques. En vérité, ce qu'il y a de plus passable dans ce petit ouvrage, est ce qui regarde la philosophie; et c'est, je crois, ce qui sera le moins lu. On a beau dire, le siècle est philosophe. On n'a pourtant pas vendu deux cents exemplaires du petit livre de m. de Maupertuis, où il est question de l'attraction; et si on montre si peu d'empressement pour un ouvrage écrit de main de maître, qu'arriverat-il aux faibles essais d'un écolier comme moi? Heureusement j'ai tâché d’égayer la sécheresse de ces matières et de les assaisonner au goût de la nation. Me conseilleriez vous d'y ajouter quelques petites réflexions détachées sur les Pensées de Pascal? Il y a déjà longtemps que j'ai envie de combattre ce géant. Il n'y a guerrier si bien armé qu'on ne puisse percer au défaut de la cuirasse; et je vous avoue que si, malgré ma faiblesse, je pouvais porter quelques coups à ce vainqueur de tant d'esprits, et secouer le joug dont il les a affublés, j'oserais presque dire avec Lucrèce:
Au reste, je m'y prendrai avec précaution, et je ne critiquerai que les endroits qui ne seront point tellement liés avec notre sainte religion qu'on ne puisse déchirer la peau de Pascal sans faire saigner le christianisme. Adieu. Mandez moi ce que vous pensez des lettres imprimées et du projet sur Pascal. En attendant je retourne à Osiris. J'oubliais de vous dire que le paresseux Linant échafaude son Sabinus.