1756-07-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.
Le succez fait la renommée.

Vous le voiez bien mon ancien ami. Une lettre anonime que je reçois selon ma coutume, m'apprend qu'on imprime une critique dévote contre mes ouvrages. Mais ces gens là seront forcez d'avouer que je suis profète. M. le maréchal de Richelieu a bien voulu témoigner à son Habacuc le gré qu'il luy savait de ses prédictions en daignant me mander ses succez le jour de la capitulation. J'ay sçu sa gloire aux Délices avant qu'on la sût à Compiegne. Vous n'imagineriez pas ce que c'était que ce fort St Philippe. C'était la place de l'Europe la plus forte. Je suis encor à comprendre comment on en est venu à bout. Dieu mercy vous autres parisiens vous ne regretterez plus mr de Lovendal. Votre damné vous a t'il dit tout ce qui se passe en Allemagne? Je regarde les affaires publiques à peu près du même œil dont je lis Titelive et Polibe.

Non me agitant populi fasces aut purpura regum
aut conjurato descendens Dacus ab Istro.

J'attends avec quelque impatience le brillant philosophe D'Alembert. Peutêtre va t'il plus loin que Geneve. Mais il y a aparence qu'il prendrait mal son temps. A l'égard du philosofe un peu plus dur dont vous me parlez, je crois qu'il ne sera heureux ny sur les bords de la Sprée ny sur les bords de la Seine. On dit que ce n'est pas chose aisée d'être heureux. Est Ulubris est hic.

Je ne reçois que des lettres remplies d'indignation, et de mépris pour ces insolents mémoires de me de Maintenon. Je vous avoue que c'est une espèce de livre toutte neuve. Le faquin parle de tous les grands hommes, de tous les princes, comme s'il avait vécu familièrement avec eux et débite ses impostures avec un air de confiance, de hauteur, de familiarité, de plaisanterie qui en imposera aux barons allemans et aux lecteurs du nord. On me conseille de le confondre dans quelques notes au bas des pages du siècle de Louis 14 qu'on réimprime avec l'histoire universelle.

Si les mémoires de ce Conac sont imprimez je vous prie de me les envoier. Vous avez la voie sûre de Mr Bouret. Pui-je m'adresser à vous mon ancien ami pour les livres que vous jugerez dignes d'être lus? Vous m'aviez promis les deux sermons de Lambert.

Je ne vous ai point envoié l'énorme édition des Crammer parce que j'ay jugé que vous auriez presque en même temps, celle de Paris. Cependant si vous en êtes curieux je vous la ferai tenir. Il y a bien des fautes. Je suis aussi mauvais correcteur d'imprimerie que mauvais autheur. Interea vale, et scribe amice amico veteri.

V.