1775-01-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Achille Pierre Dionis Du Séjour.

Monsieur,

Je vous remercie avec beaucoup de sensibilité, et un peu de honte, de l'utile et beau présent que vous daignez me faire.
Je ressemble assez à ce vieux animal de basse cour à qui on donna un diamant. La pauvre bête répondit qu'il ne lui fallait qu'un grain de millet.

Autrefois, monsieur, j'aurais pu suivre vos calculs, mais à quatre-vingt et un ans, accablé de maladies, je ne puis guère m'en tenir qu'à vos résultats. Je les trouve si probables que je ne compte pas après vous. Je suis très persuadé qu'aucune comète ne peut prendre aucune planète en flanc. Vous décidez un grand procès; vous donnez un arrêt par lequel le genre humain conservera longtemps son héritage. Reste à savoir si l'héritage en vaut la peine.

Je ne crois pas, non plus, que nous acquérions jamais un nouveau satellite, qui serait, ce me semble, un domestique fort importun, et qui troublerait furieusement les services que nous rend celui que nous avons depuis si longtemps.

Pour les Arcadiens qui se croyaient plus anciens que la lune, il me semble qu'ils ressemblaient à ces rois d'orient qui s'intitulaient cousins du soleil. Je veux croire que ces messieurs d'Arcadie avaient inventé la musique, soli cantare periti Arcades. Mais ces bonnes gens n'apprirent que fort tard à manger du gland, et il est dit qu'ils se nourrirent d'herbe pendant des siècles.

Vous en savez, Newton et vous, un peu plus que ces Arcades, et que toute l'antiquité ensemble.

Je souhaite que Newton ait raison quand il soupçonne qu'il y a des comètes qui tombent dans le soleil pour le nourrir comme on jette des bûches dans un feu qui pourrait s'éteindre. Newton croyait aux causes finales, j'ose y croire comme lui; car enfin, la lumière sert à nos yeux, et nos yeux semblent faits pour elle. Toute la nature n'est que mathématique. Vous la voyez tout entière avec les yeux de l'esprit, et moi qui ai perdu les miens je m'en rapporte entièrement à vous.

J'ai l'honneur d'être avec l'estime que je vous dois, et avec une respectueuse reconnaissance,

mr,

Votre très humble & très obéissant serviteur

de Voltaire gentilhomme ordinaire de la chambre du roi