1776-02-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Élisabeth de La Vergne, comte de Tressan.

Je ne sais pas bien de quoi il s'agit, monsieur; mais je vois que l'on commet une injustice ridicule et affreuse.
Tout me persuade qu'il y a un parti pris d'opprimer ceux qui ont la vertueuse folie de vouloir éclairer les hommes. La petite aventure qu'essuya l'année passée le pauvre La Harpe me fit naître cette idée, et tout me l'a confirmée depuis. Jugez si l'homme qui se plaignit à vous d'une épître qu'on lui imputait avait raison de se plaindre. Vous savez qu'il n'y a nul ouvrage qu'on ne puisse empoisonner, et nul homme qu'on ne puisse persécuter.

Je vous prie très instamment de vouloir bien me dire quel est l'infortuné qui m'a écrit de chez vous, quel est le scélérat qui le poursuit, pourquoi on l'accuse d'être l'auteur d'un ouvrage qui n'est pas sous son nom, quelles procédures on a faites contre son ouvrage et contre sa personne. Est il décrété de prise de corps? est il poursuivi par le procureur du roi? a t-il des défenseurs et des protecteurs? Il faut dans ces affaires en agir comme en temps de peste, cito, longe, tarde, Fuyez vite, allez loin, revenez tard.

Pythagore a dit: dans la tempête adorez l'écho. Cela signifie à mon avis, Si on vous persécute à la ville, allez vous en à la campagne. Votre homme fait fort bien d'adorer l'écho de Franconville. Les échos de ma retraite saluent très humblement ceux de la vôtre.

Je vous demande en grâce de m'instruire pleinement de tout, ou d'engager votre réfugié à m'instruire.

Agréez mes respects et mon tendre attachement qui ne finira qu'avec ma vie.

V.

P. S. Le philosophe qui adore actuellement l'écho de Franconville pendant le plus ridicule orage du monde, ne doit pas douter du vif intérêt que je prends à lui. Je dois d'ailleurs lui dire, hodie tibi, cras mihi. Il peut en attendant me donner ses ordres en sûreté.