1761-11-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Antoine Jean Gabriel Le Bault.

Je ne vous demande du vin monsieur qu'en cas que vous en ayez de semblable à celuy que vous m'avez envoié les premières années.
A mon âge le bon vin vaut mieux que Mr Tronchin. Il y a près de deux ans que je bois du vinaigre, et le président de Brosses n'y met pas de sucre. Je suis devenu délicat mais pauvre. Je me recommande monsieur à votre goust et à votre compassion.

Je vous demande en grâce de vouloir bien me procurer deux mille barbues, c'est le mot je crois, de seps bourguignons. Le tout m'arriverait par les mêmes voitures. Tout ce que je reçois de Bourgogne me fait grand plaisir excepté les exploits du président de Brosse. Il veut vendre cher ses fagots. Tâchez monsieur de me vendre bon marché votre vin dont je fais plus de cas que de cette grande forest de quarante arpents de la magnifique terre du président. Je sçais qu'il y a vin et vin, comme il y a fagots et fagots. C'est du bon que je demande. Il serait doux d'avoir l'honneur de le boire avec vous et que ce terrible président n'y mit point d'absinthe. Il fait d'étranges hippotèses; il suppose des ventes; et il argumente a falso supponente. Vous ne m'avez pas répondu monsieur sur l'arbitrage que je proposais. Aussi je n'en demande plus, et je le tiens condamné dans le cœur de tous ses confrères. Quod erat démonstrandum.

J'ay l'honneur d'être très respectueusement

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire