24e avril 1767
Monsieur,
Votre procureur Vachat n'imite ni votre politesse ni vos procédés honnêtes.
Il exige toujours un prix exorbitant de deux arpents de terre achetés autrefois de mr de Montréal, et relevant de votre chapitre. Il suppose dans son exploit qu'il avait une maison sur ce terrain, et il est évident par son exploit même et par le plan levé en 1709, que le terrain en question, confinait à cette maison ou masure, ainsi il accuse faux pour embarrasser et intimider une veuve qu'il croit hors d'état de se défendre.
Les deux arpents qui vous doivent un cens, sont un terrain absolument inutile que j'ai enclavé dans mon jardin, et qui ne produit rien du tout. Il y avait autrefois dans un de ces arpents une petite vigne entourée de gros noyers lesquels subsistent encore, et qui par conséquent ne valait pas la culture. Ce peu de vigne a été arraché il y a longtemps. Vous savez, monsieur, ce que valent les vignes dans ce pays-ci, vous savez que les paysans ne veulent pas même boire du vin qu'elles donnent.
Et à l'égard de l'autre arpent sur lequel il y a aujourd'hui des arbres d'ombrage plantés, vous savez que ce qui ne produit aucun avantage n'a pas une grande valeur. Les terres à froment même, ne sont estimées dans ce pays-ci que vingt écus l'arpent ou la pose. Quand on évaluerait ces deux poses ensemble à cent écus, je ne devrais au sr Vachat que le sixième de cent écus, qui font cinquante livres.
Vous avez eu la générosité de me mander que votre procureur devait en user avec moi selon l'usage ordinaire qui est de n'exiger que la moitié des lods. Si donc, monsieur, le sr Vachat s'était conformé à la noblesse de vos procédés il n'aurait exigé que 25 livres de France; et s'il avait imité la manière dont j'en use avec mes vassaux il se serait réduit à 12lt 10s.
Je suis bien loin de demander une telle diminution, je n'en demande aucune, je suis prête à payer tout ce que vous jugerez convenable. C'est à mrs du chapitre qu'il appartient de mettre un prix au fonds dont nous vous devons le cens. Vachat étant votre fermier ne peut exiger pour lods et ventes que la sixième partie de ce fonds même; cependant, il exige plus que la valeur du terrain. Il veut me ruiner en frais; il a pris pour m'assigner le temps où j'étais très malade, et où je ne pouvais répondre; il m'a fait condamner par défaut; il m'a traduite au parlemente de Dijon, et il a dit publiquement qu'il me ferait perdre plus de deux mille écus pour ce cens de deux sols et demi.
Votre chapitre, monsieur, est trop équitable, et trop religieux pour ne pas réprimer une telle vexation. Je n'ai jamais contesté votre droit, sur quelque titre qu'il puisse être fondé. Je suis si ennemie des procès que je n'ai pas seulement répondu aux manœuvres de Vachat. Je suis prête à consigner le double et le triple, s'il le faut, de la somme qui vous est due. Ayez la bonté d'évaluer le fonds vous même, et cette évaluation servira de règle pour l'avenir. Je vous propose de nommer qui il vous plaira pour arbitre de cette évaluation. Voulez vous choisir mr le maire de Gex, m. de Menthon, gentilhomme du voisinage, et le curé de la terre de Ferney où ces terrains sont situés? Vous préviendrez par là non seulement ce procès injuste, mais tous les procès à venir. Ce sera une action digne de votre piété et de votre justice.