1772-04-04, de Louis Phélypeaux, duc de La Vrillière à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vois Monsieur, par les nouveaux Ecclaircissements que je me suis procurés au sujet de la Métaire du Joug qu’à la vérité les jesuites ont obtenu du feu roy le 1er Xbre 1749 un brevet portant confirmation de l’union que l’Evêque de Genêve avoit faite de ce bienfonds en faveur de leur maison du Pais de Gex, mais tout annonce que les jesuites n’avoient sollicité ce brevet, qu’afin d’avoir un titre pour obliger les anciens possesseurs de cette métairie à la leur abandonner.
Si en effet ce brevet eût été suffisant, pour leur assurer la propriété de cette métairie, ils n’auroient pas été dans la nécessité de plaider près de trente années tant au Conseil, qu’au parlement de Bourgogne, pour s’en mettre en possession. Or il est constant que tous les procès qu’ils ont essuyés à cette occasion, n’ont été terminés que par un arrêt de ce parlement du vingt trois juillet 1678 qui les a obligés de rembourser aux anciens possesseurs le prix de la première aliénation, laquelle montoit à trois cent Ecus d’or au Soleil, sans y comprendre un Cens perpétuel de Sept Ecus 1/2 dont ce bien fond est demeuré chargé. Je ne pourois donc proposer au Roy de donner aujourd’hui cette métairie à la Cure de Fernay qu’en assujetissant le Curé à tenir compte à son tour aux Créanciers des jésuites de tout ce qu’ils justifieroient avoir été payé par la Société pour le remboursement du prix de l’ancienne aliénation; encore cette donation ne mettroit elle pas le sieur Hugonet à l’abri des poursuites de ces Créanciers, qui se croiroient peut être fondés à demander, que la métairie du Joug fût estimée de nouveau, et que le remboursement leur en fût fait relativement à la valeur actuelle du fonds de terre, ce qui entraineroit nécessairement des procès que le Curé de Fernay ne soutiendroit pas selon toute apparance. S’il étoit néantmoins disposé à en courir les risques je vous prierois de m’en instruire, et de lui dire en même temps de charger un avocat aux Conseils de dresser une requête en son nom, dont je rendrai compte à sa Majesté aussitôt qu’elle me sera parvenüe.

Je suis très véritablement Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.

Le Duc de Lavrilliere