1758-11-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles de Brosses, baron de Montfalcon.

Vous, monsieur, qui êtes maître en Israël, ayez la bonté d'abord de m'instruire si on doit l'impôt goth et vandale des lods et ventes, quand on achète pour le temps de sa courte vie.
Alors je pourrais avoir l'honneur de transiger avec vous la tête levée quoique chenue, et mme de Brosses aurait un cent d'épingles. Ce parti serait bien préférable à celui d'un prétendu bail qui m'exposerait à de grands embarras. Nous n'avons pas de grands génies à Gex. Mais les bœufs sont des aigles quand il s'agit d'intérêt; et un commis, un procureur, etc., attrapperait Homère et Platon.

Après ce préambule, je dois vous dire que je n'entendrais point du tout garder noble Chouet, fils de noble Chouet, syndic. Je respecte fort les Genêvois et les ivrognes: il est l'un et l'autre; mais je ne veux point de lui. Il ne demande d'ailleurs qu'à sortir de la terre; il a fait afficher dans la ville de Jean Chauvin qu'il cherchait un sous-fermier et n'en a point trouvé. Il laisse votre terre dans un état déplorable. Je lui avais acheté du blé pour avoir le plaisir de faire dans mon ermitage des Délices les premières semailles que j'aie faites de ma vie. On n'a pu employer son froment: il était plein d'ivraie (ce qui est maudit dans l'évangile), tandis que, dans ma terre de Fernex, j'ai le plus beau froment du monde à deux pas de chez vous. On m'a fait espérer un gros Suisse qui ne boit point, qui entend l'économie d'une terre, et qui la dirigera sous mes yeux.

Je veux bien consentir à vous laisser mes meubles quand je n'aurai plus pour tout meuble que trois ais de mauvais sapin.

Tout ce qui sera sur la terre et dans la terre vous appartiendra; mais je veux la forêt, qu'on dégrade et dont j'aurai soin. Je demande les cens, tous les droits seigneuriaux, tout ad vitam brevem.

Mais ces lods et ventes, comment s'en débarrasser? Voilà le grand point! Je n'en dois déjà que trop pour la terre de Fernex: le droit goth m'épuise et je ne suis plus en état de payer des princes. Pourvu que je sois loin d'eux, je suis content. Heureux, monsieur, si je peux avoir l'honneur de traiter avec vous et de recevoir vos ordres! Vous ne doutez pas des sentiments de votre très humble et obéissant serviteur,

V., G. ord. du R.