aux délices près de Geneve 6 novembre [1758]
Monsieur,
J'ay eu l'honneur de voir Mr votre frère à Ornex.
Je luy ay témoigné combien j'étais affligé que ma mauvaise santé m'eût empêché de venir vous rendre mes devoirs. C'est tout ce que j'ay pu faire d'aller chez mr de Boisi deux ou trois fois. Le régime où me tient monsieur Tronchin me condamne a des assujétissements bien tristes. Je ne cherche dans la terre de Fernex qu'un tombeau dans ma patrie.
On m'a parlé d'abord des lods ventes de ce tombau sur le pied du cinquantième denier, ensuitte on m'a dit que c'etait le huitième puis le sixième, et enfin le quarte. J'écrivis d'abord a madame la princesse de Conty. Elle m'a mandé qu'il n'était point du tout sûr que Mgr le comte de la Marche son petit fils eut la seigneurie de Gex dont dépend la terre de Fernex. J'ecrivis en même temps a Mgr le comte de la Marche et à son intendant pour demander que la moitié des lods me fut remise, et je n'ay point encor eu de réponse.
J'eus l'honneur de vous ecrire en ce temps là mais j'etais fort peu instruit de tout ce que on m'a remis le mémoire cy joint que j'ay l'honneur de vous envoier. Il peut servir ou auprès de Mgr le comte de la Marche ou auprès de celuy qui sera possesseur de Gex. Il ne s'agit dans ce mémoire que des 2 tiers des lods que le seigneur dominant s'est réservé. Quant à votre tiers Monsieur c'est un autre article sur le quel vous n'éprouverez de ma part que baucoup d'envie de vous plaire, si je parviens a consommer entièrement cette affaire qui n'est pas sans difficultez et sans épines.
Si je peux coucher quelqu'un de ces jours chez Mr de Boisi, j'iray avec baucoup d'empressement à Gex vous demander vos lumières et vos bontez. Mr votre frère m'a flatté que vous pouriez en attendant venir avec luy dans ma petite retraitte, dont je ne sors presque jamais, et où je dine tous les jours a deux heures et demie. Je n'ose espérer que vos affaires vous permettent de faire ce voiage, mais je serais enchanté de vous recevoir et de vous dire avec quels sentiments j'ay l'honneur d'être
Monsieur votre très humble et très obeissant serviteur
Voltaire