1760-02-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles de Brosses, baron de Montfalcon.

Je reçois, monsieur, la petite lettre dont vous m'honorez.
Je vous remercie tendrement de toutes vos bontés. Le bailliage de Gex me paraît plus cher que le parlement — 600lt pour six noix! O tempora! o mores! Je n'ai point d'ambition; je ne me soucie en aucune façon d'être haut justicier d'un demi arpent sur un fief genevois. Mettons dans notre contrat cette clause expresse. Pour Girod, il ne m'a jamais communiqué le moindre titre sur quoi que ce puisse être. Encore doit on voir ce qu'on achète. Ne pourrait il pas me faire voir l'érection de la terre, comme on me montra celle de la seigneurie de Fernex? Cette seigneurie de Fernex, par parenthèse, a un meilleur sol que la vôtre. Mais enfin vos 21000lt ne tiendront à rien. Je passerai même sur la difficulté que me fait le conseil de mgr le comte de la Marche; en m'accordant remise de moitié sur Tourney, il veut que je paye les lods et ventes d'une dîme de Fernex que je dispute contre des prêtres. On pourra s'arranger.

Je n'attends que la consommation de l'affaire de la province. Nulle difficulté de la part de la compagnie. On a un peu réformé à plusieurs reprises le projet de mr Fabri. En deux mots, le voici: La compagnie offre 300,000lt pour vingt ans, demande jusqu'à 7000 minots au prix de Genève, si elle en a besoin, et veut gérer. Les charges de la province se prendront sur un petit impôt établi sur bêtes à cornes. Tout cela est l'affaire d'un quart d'heure, si on veut s'entendre; mais les affaires sont longues, et bios aku, vie courte.

Que dites vous, monsieur, des beaux vers du philosophe de Sans souci contre les chrétiens? Allez lâches chrétiens, etc. Il les traite comme à Rosbac! Voilà un drôle de roi et un drôle de siècle!

J'ai toujours la guerre contre les sbires. Les fermiers généraux révoquent les commis dont je me plaignais. C'est beaucoup d'obtenir cette justice; mais qu'importe qu'on change un commis? Il n'en faudrait point du tout. Je crois qu'il aurait fallu acheter une terre dans Eldorado pour être libre. Dieu me préserve surtout d'en acheter au Paraguai.

Mille respects.

V.