1760-03-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles de Brosses, baron de Montfalcon.

Encore un petit mot, Monsieur, sur le fétiche du Bailliage de Gex; son fétiche est de l'argent comptant; il m'immole à ce Dieu que l'univers adore, et 600 £ pour six noix sont assurément le plus horrible abus de ce qu'on appelle justice; le procureur que vous avez eu la bonté de me donner, me dit qu'il trouve mes raisons bonnes, et il prétend que je dois m'adresser au Conseil, que c'est le Conseil qui règle les frais, que c'est à mr de Courteilles qu'il faut que j'écrive; J'écris donc à Mr De Courteilles; il me renvoye au parlement de Dijon, il se trouve en éffet que le procureur Finot s'est moqué de moi, et que Messieurs de Dijon sont des goguenards, qui redressent les pauvres Suisses de toute manière.
Ce n'est point le Conseil qui a réglé les frais, c'est le parlement; l'exécutoire est signé par un Conseiller au Parlement; on vendra mes vaches par arrest de parlement, et en vérité, celà n'est pas agréable, la terre ayant produit cette année, quatre fois moins que la Culture n'a Coûté, indépendamment de dix huit mille francs de réparation que j'y ai faittes.

Comme je vais acheter Tournay à perpétuité, je vous avoüe, Monsieur, qu'il m'est fort indifférent d'être haut justicier de l'arpent et demi de la Perrière. On m'a assuré, que cette prétendüe haute justice n'a jamais été énoncée dans vos dénombrements. Il ne tient donc qu'à vous, Monsieur, de faire voir que ce n'est point à moi à payer le procez de Panchaud; on ne doit point me faire haut justicier malgré moi, quand il n'y a point de preuve que je le sois. Je donne volontiers de l'argent pour amelliorer des terres, mais je n'en donnerai qu'avec regrêt et avec horreur, pour le payement d'un procez qui monte à 600 £, et qui n'aurait pas dû coûter quatre Ecus si la justice de Gex ne traittait les seigneurs, Comme les hussards du R: de Prusse, traittent les terres du Comte de Bruhl.

Enfin, Monsieur, voyez si vous pouvez avoir la bonté de me faire rendre justice à Dijon, et d'ordonner au procureur de faire les diligences nécessaires. Je sens bien que je vous importune, mais on me persécute, et je crie, et à qui crierais-je, si ce n'est à vous qui siégez sur les fleurs de Lys dans le grand banc, qui m'avez vendu Tournay, et qui ne m'abandonnerez pas?

J'aurai incessament la réponse définitive de mgr le C: de la Marche. Je suis prêt, vous l'êtes sans doute, vous aurez la bonté de me faire tenir les papiers nécessaires pour Connaître la terre, papiers que je demande depuis trois mois, et vous serez mon fétiche.

Mille respects.

V.