1761-10-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

Mon cher président vous avez une belle âme, vous n'êtes point fétiche.
Je suis pénétré de vos bontez, et je compte sur votre amitié pour le reste de ma vie. J'envoye à mr de Blancey et à mr de Varennes mes réponses à l'assignation du fétiche. Corneille me reproche de le quitter pour des fagots. Son ombre en murmure. Il est cruel de passer de Cinna et de Rodogune à une assignation, mais que faire? Le misérable m'accable d'exploits, il faut répondre.

Je vous supplie de lire dans le mémoire envoyé à mr de Blancey un petit trait oublié dans le vôtre. Le fétiche demande de l'argent de ses moules et de ses fagots. Il dit dans son exploit que Baudit luy rend 12lt du moule. Baudit dans son exploit me demande 12lt du moule. Il est évident que si le fétiche avait vendu réellement à Baudit des bois à 12lt le moule, le dit Baudit, marchand, les vendrait davantage. Il est clair qu'il compte avec le fétiche de clerc à maître, et que le fétiche luy donne quelque chose pour ses peines. Il est démontré comme je le dis, que le pd a fait une vente simulée, qu'il m'a trompé grossièrement, dans le temps qu'il me vendait sa terre.

Et si je vous disais que je soupçonnai cette bassesse il y a trois ans, et que je déclarai que je ne laisserais point sortir ses bois, à moins qu'on ne me montrâtun acte réel de vente, et que le pdt m'en fit présenter un faux par Baudit, que diriez vous, vous homme vertueux? Songez qu'il faisait cette infamie dans le temps qu'il recevait de moi 47 mille livres! Vous ne direz plus qu'il est bon homme quand il a de l'argent.

Qu'il tremble! Il ne s'agit pas de le rendre ridicule, il s'agit de le déshonorer.

Cela m'afflige. Mais il payera cher la bassesse d'un procédé si coupable et si lâche.

Je vous embrasse. Vous me consolez.