1761-11-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Philippe Fyot de La Marche.

Je sors de la fièvre, mon respectable et digne appuy, mon maître dans le chemin de la vertu et des arts; mais mon sang n'est allumé que par le plaisir que me fait votre lettre du 30 octb.
Je voudrais vous entendre dans ce beau jour où vous prononcerez sans le savoir, votre éloge en faisant celuy de votre prédécesseur.

Je vous remercie tendrement de la bonté que vous avez de permettre que vos graveurs travaillent pour Corneille. Quoy, votre amitié va même jusqu'à souffrir que j'aye l'honneur de vous envoier le portrait d'un homme aussi médiocre que maigre? Je l'enverrai par pure obéissance. J'y ferai travailler dès que je serai aux Délices.

C'est donc cette mauditte guerre qui empêche made la marquise de Paulmi de venir vous voir! Car son droit chemin serait par Berlin, et non par le mont Crapac! Que cette guerre est triste! et que de maux de toutte espèce elle cause!

Pour ma guerre avec le fétiche elle n'est que ridicule. Si je veux de Mr votre frère pour arbitre! Oui sans doute; en pouvez vous douter? Et s'il avait voulu de vous, quel autre arbitre eussai-je pu prendre! Mais il a refusé le père et le fils; acceptera t'il le frère? Il a osé dire à monsieur votre fils, qui me l'a mandé, qu'il avait fait une vente réelle; et moy je luy abandonne tout mon bien si sa vente n'est pas simulée. L'objet est ridicule: j'en conviens, mais le procédé est infâme; et si cette lâcheté est prouvée en justice, comme elle Le sera, quelque crédit qu'il ait dans l'antre de Gex, comment peut il rester dans le parlement?

Mon affaire ne doit pas contenir deux lignes. Si vous avez fait une vente réelle, je paye. Si vous m'avez trompé, faites vite une vraye vente, vendez votre charge. Voylà un plaisant premier président de Bezançon! Ouy Monsieur, je m'en rapporte à mr votre frère et je suis très sûr qu'il sera indigné comme l'est toute la province et tout Geneve. Pour moy je ne sens que vos bontez, et c'est avec le plus tendre respect.

V.