Ferney 21 [November 1761]
Depuis l'apparition que vous avez daigné faire dans nos déserts nous avons eu beaucoup de conseillers de Paris, et quelques membres du conseil, mais rien qui approche de vous.
Où trouve t'on des âmes sensibles, justes, et éclairées comme la vôtre? Il semble que vous m'ayez animé pour faire mon œuvre des six jours. Je tâchais d'exprimer tous vos sentiments. Vous faittes aussi des vers. Pollio et ipse facet nova carmina, pascite taurum. Allez vous à Paris? restez vous à la Marche? séjournez vous à Dijon? aurez vous la bonté de me faire part du discours que vous devez avoir prononcé? Vous vous immortalisez en immortalizant votre prédécesseur. Je ne sçais si ma tendre amitié jointe à l'honneur d'avoir été élevé avec vous me fascine les yeux, mais je vous mets fort au dessus de ce chancelier Daguessau que les jansénistes nous prônent tant! que votre cœur est au dessus du sien! Il me semble que vous êtes éloquent par le cœur et luy par des phrases. Il était jurisconsulte et rhéteur. Vous êtes magistrat et philosophe. Il était homme de party avec de la faiblesse; et vous avec de la sensibilité, vous n'êtes d'aucun party. Vous conserverez toujours la première place quoy que vous ayez résigné la première présidence.
J'ay chez moy un parent du fétiche, encor plus petit que luy. C'est mr Farges, maître des requêtes. Je crois qu'il n'approuve pas son fétiche plus que vous, et qu'à La fin cette ridicule affaire sera abandonnée.
Adieu Monsieur, madame Denis et melle Corneille sont remplies de sensibilité pour vous. Mademoiselle Corneille vous regarde comme un de ses plus grands bienfaicteurs et moy je suis pénétré pour vous du plus tendre respect.
V . . . .