1764-03-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

C'est donc demain, mes anges, que vous prétendez qu'on fera le service d'Olympie dans le couvent d'Ephese.
Je doute fort que vous ayez un acteur digne d'officier, et de jouer le rôle de l'hiérophante. J'ai représenté ce personnage, moi qui vous parle; j'avais une grande barbe blanche avec une mitre de deux pieds de haut, et un manteau beaucoup plus beau que celui d'Aaron. Mais quelle onction était dans mes paroles! Je faisais pleurer les petits garçons. Mais votre Brisart est un prêtre à la glace, il n'attendrira personne; je n'ai jamais conçu comment l'on peut être froid; cela me passe; quiconque n'est pas animé est indigne de vivre. Je le compte au rang des morts.

Je n'entends point parler de votre gazette littéraire, j'ai peur qu'elle n'étrenne pas. Si elle est sage elle est perdue, si elle est maligne elle est odieuse. Voilà les deux écueils, et tant que Freron amusera les oisifs par ses méchancetés hebdomadaires, on négligera les autres ouvrages périodiques qui ne seront qu'utiles et raisonnables; voilà comme le monde est fait, et j'en suis fâché. Mais le plus grand de mes malheurs est de n'avoir jamais pu parvenir à lire le mandement de Christophe, ni celui du doux Caveyrac dont la grosse face a dit on été piloriée en effigie.

Vous avez reçu sans doute, mes divins anges, un bel arrêt du conseil imprimé que je vous ai envoyé pour mettre m. le duc de Praslin à son aise.

Voici une grande nouvelle; on m'assure qu'on a vu frère Berthier avec un autre frère ce matin allant par la route de Geneve à Soleure; si j'en avais été informé plus tôt je les aurais priés à dîner.

Vous êtes heureux mes anges, vous vivez au milieu des facéties, mais vous gardez votre bonheur pour vous, et vous ne m'en parlez jamais; vous me parlez de Grandval plus que de Christophe, vous oubliez les autres comédies pour celles du faubourg st Germain, vous ne daignez pas vous communiquer à un pauvre étranger; quoi qu'il en soit je vous adore.