1778-01-03, de Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville à Voltaire [François Marie Arouet].

Bonjour et bon an, mon cher Pierre Jean; disons nous en encore autant bien des fois; je l'espère pour vous plus que pour moi; car en vérité vous n'êtes pas fait du même limon que les autres hommes; l'évidence de cette vérité se multiplie à tout moment; vos deux derniers ouvrages en font foi, Irène surtout, qui est actuellement un peu connue; car j'ai voulu, puisque vous m'aviez donné votre confiance sur cet objet, y mettre toutes les formes.
M. de Duras avait dit avec raison qu'une pièce de vous n'était assujettie ni à lecture, ni à rien, et que je n'avais qu'à donner les rôles. J'ai fait annoncer la pièce et pris temps; je vous ai mandé avec quel transport mon annonce a été reçue. Il m'est revenu que l'assemblée n'osait rien dire, mais marquait un extrême désir de connaître l'ouvrage. J'ai cru devoir leur donner cette satisfaction. Je l'ai fait lire hier par le meilleur lecteur. L'admiration a été générale, les cris de joie, les transports de reconnaissance, les larmes sur Irène, cet ensemble bien vrai, bien naturel a fait un effet étonnant, présage heureux, et à peu près certain de ce qui doit arriver à la première représentation. Que ne pouvez vous en être témoin! C'est là tout mon regret.

Adieu, mon cher ami, portez vous bien, ménagez vous, et surtout aimez moi toujours. Vous lisez dans mon cœur combien il le mérite.