1773-03-29, de Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville à Voltaire [François Marie Arouet].
Tremblant sur vous destins si chers, si précieux,
Tout le Parnasse en deuil, Melpomène éplorée
Ont enfin obtenu des cieux
Leur intéressante durée;
Vous vivez, et des envieux
A leur basse douleur en proie,
Vous êtes bien vengé par la commune joie.
C’est le vœu général à la ville, à la cour,
Les lieux publics en retentissent,
Et de vos jours sauvés le fortuné retour
Donne un titre d’honneur à ceux qui le bénissent.
Ce triomphe nouveau, si juste, et fait pour vous,
A vos vrais amis est bien doux;
Leur joie est un transport qu’on ne pourrait décrire,
Dans leurs sensibles cœurs votre amitié sait lire.
Jouissez donc du sort et si rare et si beau,
D’avoir connu, sans sortir de la vie
Combien d’un grand homme au tombeau
La mémoire est toujours honorée et chérie.

Je ne sais par quel hasard, mon cher Pierre Jean, ces vers me sont venus en prenant la plume pour vous écrire: ce qui est sûr c’est que, tels qu’ils sont, ils ont un mérite rare à la poésie, ils ne disent que des vérités. Je n’y ajouterai rien pour vous parler de mes alarmes passées et de ma satisfaction présente; vous savez depuis trop d’années combien vous m’êtes cher.

Je suis chargé de vous demander mais au plutôt, un exemplaire de votre édition des lois de Minos, pour les jouer à Bruxelles à la rentrée. Chevalier est ici et nous a montré à m. d’Argental et à moi la lettre par laquelle m. le prince de Staremberg le charge de rapporter la pièce. Je vous disais aussi un mot de Sophonisbe. Le mal de Richelieu m’en a parlé dix fois. Il n’y a qu’un cri pour cela. Envoyez nous la le plutôt que vous pourrez.

Adieu, mon cher ami, ménagez vous surtout, jouissez encore bien longtemps du contentement de savoir combien vous êtes aimé de vos amis, et précieux au monde en général; ce sentiment est prouvé aussi universellement que le mépris pour les Clément et les Sabatier.