1748-12-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Enfin je ris aux anges en recevant leur lettre.
Vos conseils sont suivis ou plutôt prévenus, et partout j'ay rendu raison de l'inaction forcée d'Assur. Semiramis elle même dit à Ninias au quatrième acte

Tout le party d'Assur frappé d'un saint respect
Tombe à la voix des dieux, et tremble à mon aspect,

et au cinquième

Le détestable Assur sait il ce qui se passe?
N'a t'il rien attenté, sait il quel est Arzace?

et on luy répond

Non. Ce secret terrible est de tous ignoré.
De L'ombre de Ninus l'oracle est adoré;
Et le party d'Assur que la terreur assiège
N'ose encor luy prêter une main sacrilège.
On se tait, on attend ces moments solemnels
Où fermé si longtemps au reste des mortels
Ce tombeau doit ouvrir ses portes redoutables.
La terre, les enfers, les cieux sont favorables.
Cependant Azéma dans un trouble nouvau
Veille dans la nuit sombre autour de ce tombeau.
Ninias est au temple, et d'une âme éperdue
Se prépare à frapper la victime inconnue.

Ensuitte Azema aprenant à Semiramis qu'Assur est dans le tombeau, elle dit

. . . . . . . . . . . . . . . .
Mes yeux ont épié ses pas et sa fureur,
Voyant ses vœux trompez, sa faction tremblante,
Votre choix confirmé, Babylone contente,
Il ne commet qu'à luy ce meurtre détesté.

En un mot j'ay partout apuyé sur les raisons qui retiennent la vangeance d'Assur, raisons d'ailleurs confirmées par mille exemples, par celuy d'Antoine de Navarre qui ne put prévaloir contre Catherine de Medicis, par celuy de MrGaston qui ne fit presque rien contre la reine Anne d'Autriche, etc.

A L'égard du monologue d'Azema pendant que Ninias est dans le mausolée, le voicy.

Dieux conduisez ses pas dans ce tombeau funeste!
Que voulez vous, quel sang doit aujourduy couler?
Impénétrables dieux vous me faites trembler,
Je crains Asur, je crains cette main sanguinaire.
Il peut percer le fils sur la cendre du père.
Abimes redoutez dont Ninus est sorti
Dans vos antres profonds que ce monstre englouti
Porte au sein des enfers la fureur qui le presse.
Cieux tonnez, cieux lancez la foudre vangeresse
O son père, O Ninus, quoy, tu n'as point permis
Qu'uneépouse éplorée acompagnast ton fils!
Veille sur luy, dumoins dans ce lieu de ténèbres.
N'enten-je pas sa voix parmy des cris funèbres?
Je l'entends, c'est luy même, etc.
Ah qu'esce que je voy?

Je retourneray encor. J'ay fait des changements à tous les rôles Je suplie. monsieur Dargental d'ajouter à ses bontez celle de faire retirer les rôles et la pièce que je ne rendray que suivant ses ordres, et quand les anges seront contents.

J'attends toujours mes instructions pour savoir si je dois prier madede Pompadour d'agir auprès du roy au sujet de la parodie.

J'attends la recette de mademoiselle Quinaut pour les goetres. J'attends des moyeux. J'attends avec impatience le jour où je verray mes anges. Je baise le bout de leurs ailes plus que jamais.

V.