1773-02-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques de Rochefort d'Ally.

Non, vraiment, monsieur, je n'ai point reçu les deux lettres dont vous me parlez, qui étaient contre-signées.
Il arrive fort souvent que les commis ne veulent point se charger de ces contre-seings. Ecrivez moi tout uniment à mon adresse, et vous pouvez compter que la lettre me parviendra; mettez seulement un R au bas, car très souvent je prends votre écriture pour celle d'un autre.

Si vous voyez m. le chancelier, et m. le maréchal de Richelieu, je vous recommande ces pauvres Lois de Minos. Je les avais beaucoup retravaillées depuis votre départ de Ferney. Un fripon m'ôte tout le fruit de mon travail. Je ne me plains pas des libelles que le libraire Valade débite tous les huit jours contre moi et mes amis. J'aurais mauvaise grâce de ne vouloir pas qu'on me calomnie, quand on a l'insolence de faire tant de mauvais libelles contre m. le chancelier lui même. Mais je ne trouve point du tout bon qu'on me vole, et que la police souffre ce vol public. Je présente sur cette affaire une petite requête à m. le grand référendaire. Mettez bien le cœur au ventre à m. de Richelieu; il doit être fort mécontent des tours qu'on lui joue dans son tripot.

J'ai eu bien raison d'écrire contre les cabales: tout est cabale, de la foire jusqu'à Versailles, et des curés de villages jusqu'au pape. Les bruits les plus ridicules courent l'Europe; mais tout tombe au bout de huit jours dans un éternel oubli.

Je vous supplie, vous et madame dixneufans, de ne me point oublier. Je suis actuellement cent pieds sous les neiges; c'est un fléau plus terrible que les Clément et les Sabatier. Conservez vos bontés au vieux malade de Ferney.

V.