1er février 1773, à Ferney
En voicy bien d’une autre, Monseigneur.
Le tripot m’a joué d’un mauvais tour. Quelqu’un de ces messieurs a vendu une copie informe et détestable du Minos que vous protègiez, à un nommé Valade, fripon de Libraire de la rue st Jaques, qui la débite hardiment dans Paris au mépris de toutes les loix de la Crete et de la France. Cette piraterie doit intéresser Messieurs D’Argental et de Thibouville, car j’ai trouvé dans la pièce beaucoup de vers de leur façon. Je les crois meilleurs que les miens; mais enfin, chacun a son stile, et il n’y a point de peintre qui fût content qu’un autre travaillât à son tableau.
Quoi qu’il en soit, ce Valade me parait réprimable, et le voleur qui lui a vendu la pièce très punissable. Je n’ai pas l’honneur de connaître Mr De Sartines, et je n’ai nulle protection auprès de lui. Je ne sais pas pourquoi l’impression ne dépend pas de Messieurs les premiers gentilshommes de la chambre, puisque la représentation en dépend. Ce monde cy est plein de contradictions et d’anicroches.
J’avais fondé sur Minos l’espérance de vous faire ma cour à Paris; mon espérance est détruite, c’est la fable du pot au Lait.
Il serait curieux de savoir quel est le seigneur Crétois qui a fait l’infâmie de vendre la pièce à un des pirates de la rue St Jaques. Celà peut servir dans l’ocasion, et vous sauriez à quoi vous en tenir sur l’honnêteté des gens du tripot.
Je comptais vous dédier cette pièce malgré tout le ridicule des dédicaces; mais comment faire à présent? Je suis déjoué de toutes les façons. Les Frerons et toute la canaille de la Littérature vont me tomber sur le corps. N’importe, je vous la dédierai encor si vous me le permettez. Mais feriez vous si mal d’écrire à Mr De Sartines? Il donnerait certainement tous ses soins à découvrir le fripon.
On m’assure que les comédiens ne laisseront pas de donner la pièce au 1er de Mars. Il n’y a autre chose à faire qu’à y retravailler encor pour dérouter le polissons.
Conservez toujours vos bontés pour vôtre ancien courtisan siflé ou non siflé, mais attaché à vous avec le plus profond et le plus tendre respect.
V.