1er févr: 1773
Il faut vous dire mon cher ange que cet honnête corsaire Valade a envoyé son Minos à cet autre corsaire nommé Grasset à Lausanne.
Je n'ay nullement le moyen d'empêcher ce brigandage de Grasset. Tous les libraires sont après moy comme des lévriers après un lièvre. Il y a longtemps que cette chasse dure. Mais il est certain que mr de Sartine aurait puni le vol de Valade et confisqué sa marchandise, si on lui avait dit un mot. Je lui ai écrit dès que j'ay été informé de cette piraterie, mais je lui ai écrit trop tard, et ce n'est pas ma faute. Je n'ay plus d'espérance qu'en vous.
Vous pouvez savoir d'où part cette détestable édition, qui a fait les vers de compliment de comédie qui sont à la fin de la pièce? qui les a copiez? Lekain avait il le malheur de les avoir sur son rôle? C'est là ce me semble le fil qui doit conduire dans ce labirinthe. On saura la vérité si on veut se donner un peu de peine. Je vous demande bien humblement pardon de cette peine, mais vous avez intérest dans la place où vous êtes, de savoir si vous avez auprès de vous un homme qui vous trahit. Je vais faire insérer dans les mercures un avertissement nécessaire. La guerre que je fais n'est pas à mon avantage. Je combats contre des ennemis qui sont maitres du champ de bataille. Les fréronades font toujours impression quand elles attaquent un homme que l'envie veut rabaisser. Vous croiez bien que la clique des Cléments et des Sabatiers n'est pas oisive. Elle est très nombreuse, très acharnée, et les honnêtes gens tranquiles dans le sein de la bonne compagnie, font très bien de ne se pas compromettre avec ces gredins. Je suis abandonné aux bêtes.
Encor un petit mot. L'imprimé est certainement d'après le manuscrit qui était chez vous. J'en juge par ce vers, tout pouvoir a son terme. Vous avez voulu absolument terme aulieu de borne. Mais soit dit en passant, terme signifie la fin. Ainsi vous dites, tout pouvoir finit en cédant au préjugé, ce qui n'est pas vrai. Tout pouvoir est borné; voilà qui est vray. J'aurais quelques autres reproches à vous faire mais ce n'est point le temps de nous rien reprocher. Ce n'est que le temps de découvrir le fripon qui nous a tous mis dans un assez grand embaras et de le faire punir. Je ne puis rien du platau du mont Jura. J'écris à M. de Richelieu, à M. de Sartine, mais que produira la lettre d'un vieux solitaire? Rien. Un mot de vous ferait cent fois davantage. Allons, courage. N'êtes vous pas curieux de connaitre le vilain? Je me mets effectivement à l'ombre des ailes de mes anges.
V.